Chapitre douze

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Je marchais, les yeux ouverts sans pour autant voir quelque chose, une fois de plus plongée dans le néant. Mais à force, j'avais finis par oublier. Dix huit ans à vivre dans ce vide complet, ça vous habituait à se sentir seul. C'était une de ces autres raisons qui faisaient de moi l'insociable que j'étais.

Mes pieds trainaient dans le chemin de gravier que nous arpentions, moi accrochée à son bras pour ne pas trébucher, avec Matthieu. C'était nos premiers moments seuls depuis mon réveil, et je n'avais pas voulu user de ma nouvelle... "faculté" en sa présence pour l'instant : Il apprenait suffisamment de choses en si peu de temps, que lui montrer que je pouvais voir alors que j'étais techniquement aveugle pourrait lui sembler fou –exactement comme ça me l'avait semblé, quand Damon me l'a expliqué.- Nous marchions en silence, mais c'était un bon silence, comme un silence reposant, un silence qui nous plaisait, à l'un comme à l'autre. Je le ressentais, émanant de Matthieu.

- Comment tu prends tout ce qu'il arrive ? lui dis-je, brisant ainsi le silence.

- Tout ça ? C'est trop cool ! J'ai appris que y'avais une certaine catégorie de gens qui pouvaient faire un truc du genre lire dans les pensées, puis qu'ils avaient des pouvoirs dont ils se servaient même pas pour avoir du fric... Ouais, nan, c'est vraiment cool.

Son ton était ironique, mais j'entendais comme de l'amertume dans sa voix. Il ne comprenait pas vraiment pourquoi il était là, à quoi il servirait. Il était juste là. Il servait de décor. Une plante verte qu'on arrose de temps en temps, mais qu'on oublie quand on part en vacance. Et pourtant, il y avait aussi de l'excitation dans son ton. C'était comme si il jouait à un jeu vidéo super réaliste, ou qu'il regardait un film en 4D, mais où il pouvait réellement y laisser sa vie.

Je m'accrochais un peu plus à lui, ayant failli trébucher sur un caillou ou une marche. Il me soutint et me prévins d'un prochain obstacle, s'excusant de ne pas m'avoir prévenu pour celui-ci.

- Tu es vachement attentif... On dirait que tu as fait ça toute ta vie, m'enquis-je à son attention, le remerciant en lui tapotant le bras.

- Fait quoi ?

- Bah... Tu sais... Soutenir un aveugle. L'aider. Tu te serais bien entendu avec Eléonore.

- Ah... Bah... Je le fais depuis que j'ai dix ans, dit-il, gêné.

- Tu... Quelqu'un... ?

J'espérais de tout cœur qu'il comprenne ce que je voulais lui dire, ne souhaitant pas réellement raviver une douleur mentale. Je ne doutais pas du fait que voir quelqu'un devenir aveugle, avec un accident, ou l'âge, devait-être dur. Que ce soit quelqu'un de proche, un ami, ou une connaissance. La nostalgie d'avant que ça arrive pouvait remonter, et ce devait-être d'autant plus dur que pour ceux qui devaient élever ou avaient toujours connu le même néant que moi.

- Ma grand-mère. Elle était jeune, quand c'est arrivé. Cinquante ans. Un simple accident de voiture, une grave blessure à la tête, commotion et tout le tralala. C'était la seule dont j'étais proche, étant donné que les vieux maternels habitent au Canada, et viennent pas souvent.

- Je suis désolée.

- T'inquiète, ça fait pas de mal, depuis le temps.

- Ouais... Mais quand même, c'était assez indiscret de ma part.

- Tu connais rien de moi, je connais beaucoup plus de choses sur toi, maintenant, c'est normal que je te réponde sincèrement.

- Ah bah c'est bien que tu en parles ! J'voulais justement te poser quelques questions sur toi, ta vie, tout ça... dis-je pour détendre l'atmosphère, tentant de cacher ma voix légèrement tremblante après la révélation qu'il m'avait faite. Une quinzaine, toute au plus, tu te sens capable de répondre ?

Regard NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant