Chapitre 13

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Probablement parce que, le lendemain, il devait faire le bilan de sa première « mission » avec le Big Boss, il ne fut pas appelé au bureau ce jour-là. La discussion virtuelle s'était terminée sans vraiment avoir de fin, et il était donc passé à autre chose.

Deux journées de congé. Ça faisait deux ans (depuis son renvoi de l'Armée) qu'il n'avait eu que des journées de congé. Il aurait donc dû savoir comment s'occuper, n'est-ce pas ?

Mais non. Ces deux jours-là n'étaient pas des congés comme les autres, puisqu'il avait maintenant un boulot, et, seul dans son appartement, il s'ennuyait ferme.

Depuis le dernier SMS de Jim Moriarty ce matin-là, il avait passé une demi-heure à regarder le vide avec un sourire niais aux lèvres, une heure à siroter un café qui devenait froid, deux heures à écouter de la musique sur sa chaîne stéréo, une autre demi-heure à imiter la larve sur son sofa, un quart d'heure à hésiter à allumer la télévision (il faudrait se lever), un autre quart d'heure pour réaliser qu'il devenait vraiment paresseux quand il s'ennuyait, dix minutes pour trouver une solution à ce problème (alias faire du sport), et vingt minutes à hésiter à l'appliquer (il faudrait aussi se lever).

Tout ça pour finalement se retrouver dans son jogging gris clair à courir sans fin dans les rues de Londres. Il ne ressentait pas encore de fatigue ni d'essoufflement, signe que l'armée ne l'avait pas encore abandonné complètement. Ça le réconforta et il fit un sprint sur quelques dizaines de mètres. Ni fatigue ni essoufflement ne l'arrêtèrent là non plus, mais la faim commençait à se faire sentir, elle. Il se rendit alors compte que, trop occupé à penser à Moriarty, il avait oublié de prendre un petit déjeuner. Il jeta un coup d'œil à son GSM : 12h47.

Il soupira. Sa séance de remise en forme (ou détente, selon le point de vue) était déjà terminée. Il prit un léger raccourci en passant par un parc.

De ce parc, les sentiers de terre battue longeaient la Tamise, n'en étant séparés que par une longue et régulière rangée de peupliers.

L'air frais d'un hiver trop long lui brûlait les poumons avec délice.

Les minuscules graviers et la mince couche de glace recouvrant le sol crissaient sous ses baskets, de ce bruit singulier et apaisant que les enfants aiment piétiner en ramassant des châtaignes et pour lequel les adultes redeviennent des enfants.

L'herbe du parc, recouverte d'un gel froid et fragile, gardait sans relâche la même taille, régulièrement coupée avec soin et minutie. Pourquoi diable les britanniques accordaient-ils autant d'importance à leur gazon ? Il ne le comprendrait jamais. Déjà dans son enfance, son jardin ressemblait à celui du palais d'Henri VIII en miniature. Et quand il avait, un jour où il avait sûrement 6 ou 7 ans, demandé à la femme de ménage (qui occupait aussi le rôle de nourrice, jardinière, cuisinière, et j'en passe) pourquoi elle se donnait autant de mal pour quelques malheureux brins d'herbe, elle avait répondu de sa voix douce :

« Ça, mon petit, c'est comme la société d'aujourd'hui. Dans un jardin, il y a des centaines et des centaines de brins d'herbe, comme des centaines et des centaines de gens dans la société. Et si on les laisse pousser comme ils veulent, il y a des mauvaises herbes qui grandissent et ça devient la jungle. Alors il vaut mieux les couper souvent pour qu'ils restent un joli jardin. »

À la réflexion, il se rendait compte à présent que cette femme était plus intelligente encore qu'il ne l'avait cru à l'époque.

Agatha Stanley. La seule personne qui ait jamais compté pour lui, ne serait-ce qu'un peu, dans son jeune âge. C'était elle qui s'occupait de lui quand il était enfant.

Quand il était tout bébé déjà, elle le lavait, le nourrissait, le berçait, le soignait, lui donnait autant d'affection qu'une femme de ménage peut donner à l'enfant de ses patrons, Mr et Mme Moran.

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