Le lendemain, quand il arriva au bureau, Victor n'y était pas, et il s'en sentit soulagé. Moriarty non plus. Et pas de nouvelles de lui. Il essayait tant bien que mal d'être optimiste en essayant de se convaincre que Moriarty s'isolait pour réfléchir à tout ça, mais il n'y croyait que moyennement. Katherine, elle, lui donnait ses fardes avec un sourire amical ; c'était peu par rapport à ce qu'il le tourmentait ces derniers temps, mais ça faisait tout de même du bien.
Il aperçut Safiya Rhamani à son bureau et, cette fois, prêta attention à elle. Ses boucles folles lui tombant sans cesse devant les yeux, elle avait l'air de travailler dur, absorbée par son ordinateur. Quand il passa près d'elle pour sortir, il crut qu'elle n'allait pas le remarquer, mais elle leva justement la tête, par hasard, pour s'étirer de tout son long et quitter l'écran des yeux. Leurs regards se captèrent, ils échangèrent un signe de tête et se quittèrent sans rien de plus. Ça aussi, ça lui faisait du bien ; du calme, qu'on le laisse tranquille. Avec Moriarty qui lui en faisait voir de toutes les couleurs, Victor qui le perturbait et tentait de le manipuler, Cooper et Trevor qui le haïssaient, et la pression des missions et de la dynamique d'une entreprise criminelle, il était épuisé.
Il croisa justement Victor alors qu'il s'apprêtait à sortir de la salle ; il semblait de meilleure humeur que la veille, et Sebastian osa espérer un autre moment serein.
- Salut, lui lança-t-il pour prouver sa bonne volonté.
- Salut Seb, répondit le rouquin avec son sourire charmeur. Comment tu me trouves aujourd'hui ?
Sa Majesté fit un tour sur elle-même en tâchant de mettre en valeur absolument toutes les parties de son corps, le visage fier et rayonnant. Sebastian se tendit légèrement : il était nul pour remarquer les changements physiques, surtout ceux des hommes. Il y mit toute sa concentration. Mais tout ce qu'il voyait, c'était une chemise, un pantalon et une veste. Cela dit, en y réfléchissant, il remarqua qu'il ne l'avait pas vu porter ces vêtements auparavant. Mais ça ne l'avançait pas beaucoup ; il ne savait que dire.
- Tu as fait du shopping ?
- Quel œil affuté, pouffa Victor en levant les yeux au ciel. Ça ne me dit pas comment tu me trouves.
- Ben, ça te va bien.
Victor fit la moue :
- C'est tout ?
Sebastian soupira. Qu'est-ce qu'il attendait, au juste ? Était-ce encore une de ses techniques pour lui arracher une discussion, comme hier ? Ses épaules se crispèrent un peu. En plus de ça, maintenant qu'il voyait clair dans le petit jeu de pouvoir du rouquin, il n'avait plus envie de lui laisser gagner la moindre petite bataille. Il était temps que le règne du prince Victor prenne fin ; du moins pour ce qui concernait Sebastian. Il décida donc de le couper net dans son élan :
- Tu sais, gratter autant pour un compliment, ça finit par lui enlever de la valeur.
Les yeux de Victor s'écarquillèrent de surprise. Puis, assez rapidement, ses sourcils se froncèrent et il croisa les bras, les lèvres pincées :
- C'est incroyable ce que tu es doué pour tout gâcher. Je fais tout ce que je peux pour apaiser les petites tensions entre nous, et il faut que ta paranoïa et ton sale caractère en remettent une couche.
- T'as raison, va.
C'était sorti tout seul, d'une voix plus cinglante qu'il ne l'aurait voulue. Il était partagé entre l'envie de le tuer et l'envie de rire de ses affirmations ridicules. Décidément, qu'est-ce qu'il n'aurait pas utilisé comme comédie pour essayer de l'amadouer, de le manipuler et de parvenir à ses fins ? Parce que ça, il en était certain : le but de toute cette mascarade, c'était de finir par le faire culpabiliser et donc de se confier à lui notamment sur ce qui se passait entre Moriarty et lui. Enfin, sur ce qui ne se passait pas, plus exactement... Ne pouvait-il donc pas recevoir un moment de répit ?