Ce matin-là faisait partie de ces matins froids mais ensoleillés, où l'on n'aurait su dire s'il faisait beau ou non. Ce genre de temps rendait Sebastian maussade, et c'est les mains dans les grandes poches de sa veste en cuir qu'il regagnait avec hâte son appartement.
Il pensait à Jane. Et à Jim aussi. Surtout à Jim, en fait.
Était-il contrarié que ce soit Jane qui ait répondu à son appel ? Il n'avait jamais pris la peine de se poser la question, mais était-il interdit dans « l'entreprise Moriarty » d'avoir des relations sexuelles et/ou amoureuses ?
Non, autrement Jim ne l'aurait pas autant taquiné à propos de Katherine.
Qu'est-ce qu'il lui voulait concernant leur rendez-vous de ce soir ? Allait-il le rappeler ?
Une seule manière de le savoir.
Il sortit son GSM de sa poche et regarda longuement le nom dans son répertoire. Ce n'était peut-être pas la meilleure chose à faire...
Mais c'était la seule ! Il ne pouvait pas attendre désespérément un appel jusqu'au soir où il se rendrait compte que leur dîner était annulé !
Oui, mais s'il n'était pas annulé ? De toute façon, il devait le savoir, alors autant l'appeler tout de suite et lui demander plutôt que d'attendre toute la journée.
Mais si Jim était en colère contre lui ?
Non, il n'avait rien fait de mal. C'était juste un petit accident. Jane n'aurait pas dû être celle qui décrocherait ce téléphone, mais ça ne changeait rien au fond. Il avait le droit d'avoir une vie en dehors du Big Boss, non ? Et s'il voulait coucher avec une fille, eh bien, rien ne justifiait que Jim puisse lui en vouloir.
Il allait l'appeler.
« Allô ? »
- Allô, désolé pour tout à l'heure, j'étais...
Mais pourquoi s'excusait-il ? Il n'avait rien à se reprocher...
« En bonne compagnie, j'avais compris. »
Sa voix ne trahissait aucune émotion. Pas de colère, pas de déception, rien du tout.
- Vous... Vous m'en voulez ?
La sienne, par contre, ressemblait à celle d'un enfant qui a fait une grosse bêtise et sait que ses parents sont au courant.
« Vous en vouloir ? Pourquoi ? Parce que vous êtes un homme avec des envies, des besoins et des pulsions ? Parce que vous êtes humain ? Mon cher Moran, si je devais en vouloir à tous ceux qui ont cédé aux charmes féminins, il ne me resterait plus grand-monde à qui parler. »
Il retint un soupir de soulagement mais laissa s'échapper un petit sourire tremblant. Il n'avait rien à se reprocher, et Jim ne lui reprochait rien.
- Vous m'aviez appelé à propos de ce soir, d'après elle ?
« Oui, mais comme je lui ai dit, ce n'était pas très important, juste histoire de confirmer une dernière fois le rendez-vous. »
- Donc vous ne vouliez pas l'annuler ?
« J'ai l'impression que vous vous êtes fait beaucoup de scénarios pour rien, Moran. »
Il y avait un petit sourire dans sa voix. Et bon sang comme ça faisait du bien.
« Non, je n'ai jamais voulu l'annuler. Il faut bien que nous parlions de votre fameuse première mission plus ou moins catastrophique, il me semble. »
- Elle n'était pas si catastrophique que ça ! C'est vous qui aviez fait en sorte que j'aie du mal à arriver !
« Ce n'est pas totalement faux, mais j'aimerais que nous attendions ce soir pour que vous m'envoyiez tous vos reproches à la figure. Je suis un peu occupé, voyez-vous, une histoire avec les russes... Donc nous avions dit 19h au Ledbury, c'est bien ça ? »
