De toute façon, le crime était prévu pour 17h et il était déjà 16h. Il avait le temps, mais n'allait pas trop mourir d'ennui. Il sortit un paquet de cigarettes de sa poche, ainsi que son briquet, et s'allongea sur le dos. Une clope aux lèvres, il repensa au Big Boss.
Non mais sérieusement, qu'est-ce qui s'était passé dans sa tête de petit brun en costume ?
En plus, il se rendait compte à présent qu'il ne s'était pas posé de questions quand il avait reçu le texto. Il lui avait fait aveuglément confiance. Si Moriarty lui disait d'aller dans une maison par le jardin, eh bien, il le faisait, c'était tout. Est-ce que c'était une réaction normale pour deux hommes qui venaient de se rencontrer ?
D'un autre côté, le Big Boss n'était pas un homme comme les autres et ça, il lui avait seulement fallu un regard pour le comprendre. Rien que dans sa démarche, il y avait quelque chose d'à la fois classe, dangereux et sexy. Enfin, quand il disait sexy, c'était d'un point de vue strictement objectif, bien sûr. Du plus loin qu'il s'en souvienne, il n'avait jamais été attiré par la gente masculine. Même pas un tout petit flirt en soirée arrosée. Nope. Juste des femmes. Alors s'il disait qu'un homme était sexy ou beau ou plein de charme, il ne fallait pas se faire une idée. Et puis d'abord, n'importe qui, même le pire des homophobes, serait d'accord avec lui pour dire que Jim Moriarty avait un charme au-dessus de la moyenne.
Bref. Il s'égarait. Il jeta un petit coup d'œil à son GSM. 16h45, oh putain déjà.
Il se retourna d'un coup de reins pour se remettre à plat ventre et rampa jusqu'au sniper. L'œil vert derrière le viseur, il orienta l'arme vers l'entrée du bureau. Toujours personne dans la salle, mais il attendrait. S'il le ratait, il était fichu. Et s'il ne butait pas le bon ?
Un frisson de stress lui parcourut l'échine. Il recula ses yeux et reprit son dossier. La photo, la photo... Ça allait, il le reconnaîtrait. Tout irait bien.
Il se remit en place et ne bougea plus d'un pouce, même s'il tremblait intérieurement.
Soudain, son GSM vibra. Se disant que c'était sûrement encore l'autre timbré, il sortit son portable et regarda :
Un peu de stress ?
C'est mignon.
JM
Il leva les yeux au ciel. Il avait un peu abusé de la fumette ou il était comme ça tout le temps ? D'autant que ce genre de message n'allait certainement pas l'aider à évacuer son stress... Savoir qu'il l'observait encore avec attention était on ne peut plus flippant. S'il foirait...
Après avoir rapidement vérifié que personne n'était encore arrivé dans la salle, il composa un texto à son intention :
Si vous pouviez arrêter de me surveiller
comme ça, ça irait déjà mieux.
Il posa son GSM à côté du pied du sniper, sachant très bien qu'il ne servait à rien de le ranger à chaque fois puisque cet enquiquineur n'allait certainement pas arrêter de se moquer de lui. Ça s'annonçait bien.
Ah, voilà que des gens entraient dans la salle. Il ordonna à son corps de se calmer immédiatement. Ce n'était pas le fait d'abattre un homme qui le paralysait, ça il l'avait fait des tas de fois à l'armée, mais la différence était que, cette fois, c'était pour quelqu'un en particulier qu'il le faisait. Et pas n'importe qui, messieurs dames. Déjà qu'il avait été un peu pitoyable jusqu'ici pour cette mission, si en plus il le ratait ou qu'il se trompait de cible ou...
Dites-vous qu'au lieu de vous surveiller,
je veille sur vous. Je ne vous laisserai
pas tout bousiller, vous devriez vous
sentir protégé.
JM
Il essaya vraiment de s'en convaincre. Vraiment, il essaya. Mais ça sonnait faux de la part du timbré qui l'avait envoyé au milieu d'une baraque « animée ». Cette idée tournait et tournait encore dans sa tête sans qu'il puisse la chasser. Il jeta un rapide coup d'œil à son GSM : 17 heures. Depuis son viseur, il voyait tous les bureaucrates prendre place, et « Bonjour » par ci, et « Merci d'avoir pu venir » par là. Il n'était pas spécialement doué pour lire sur les lèvres, mais il en avait vu, des pingouins, se faire des politesses...
La future victime était absente. L'homme n'était pas là. Les autres parlaient sûrement de lui, regardant leur montre et hésitant à s'asseoir. Pourquoi n'était-il pas là ? Un simple retard ? Il l'espérait.
Il regarda son GSM encore une fois : 17h08. Son estomac se compressa. Huit minutes, ce n'était rien, d'habitude, mais dans sa situation, ces huit minutes représentaient presque sa propre vie. Et toujours pas de message du Big Boss.
Il se fit une raison ; s'il ne lui écrivait pas, c'était tout simplement parce qu'il n'y avait rien à dire. L'homme allait arriver d'une minute à l'autre.
Il y crut quelques secondes.
Puis se rappela le coup qu'il lui avait fait tout à l'heure. L'envoyer dans cette maison. Il se mordit la lèvre et baissa le sniper, instinctivement, vers la rue.
Son cœur se compressa violemment.
L'homme était là. Juste devant l'immeuble où il était supposé avoir une réunion. Il fumait une cigarette. Pas tranquillement comme un employé en pause, non. Il jetait des regards rapides autour de lui, passait sa main dans ses cheveux, faisait trois pas vers la rue, puis revenait au même endroit. Il hésitait à venir ?
Il inspira un grand coup puis, sans vraiment y réfléchir, visa la tête et appuya sur la gâchette.
L'homme s'écroula silencieusement sur le sol. Mort.