Treize nuits. De pire en pire. Certaines fois, il l'entendait même se relever pour se remettre au travail dans le salon, sans avoir fermé l'œil, après avoir lutté contre l'insomnie pendant plusieurs heures.
Lui-même en perdait le sommeil. Et ce qu'il se passait le jour n'arrangeait rien : une nouvelle vague de dossiers à traiter, de nouveaux triomphes dans la liste du danois, l'humeur exécrable de Trevor Louis depuis que Victor Piersen s'évertuait à mettre le prodige dans son lit... Une tension palpable flottait dans l'air, s'alourdissant avec la taille des cernes de Moriarty.
Il n'avait aucune envie de sortir de sa chambre. Il savait qu'il devrait affronter de nouveau l'horreur qui déformait les traits de Moriarty, d'ordinaire si harmonieux. Il devrait entendre sa voix dérailler en le saluant, faire comme si tout allait bien. Il devrait même étirer faussement ses lèvres, lui aussi, devant le sourire cassé, discordant, que lui servirait Moriarty dans cet imbécile jeu de rôles. Et il n'avait plus la force de faire tout cela.
Mais il le fallait. Pas de mission sur le terrain aujourd'hui, mais plusieurs dizaines de dossiers à évaluer, à rectifier, à concevoir. Katherine allait avoir besoin d'aide – si elle ne s'était pas déjà pendue.
Inspiration, sortie du lit. Ce n'était pas le moment de laisser tomber l'entreprise. Debout, il s'habilla la mort dans l'âme. Peut-être Moriarty était-il déjà parti dans son bureau ? Peut-être pourrait-il fuir jusqu'à la douche ?
Fébrile, il ouvrit la porte de la chambre : vrombissement dans ses entrailles. Des décombres de Jim Moriarty se tenaient dans la cuisine, deux prunelles désertes fixant une tasse de café probablement froid.
Un pas vers lui. Un deuxième. Sur la pointe des pieds – c'était ridicule.
Le visage épuisé se tourna brusquement vers lui. Nerveux. Vulnérable... Non, agressif maintenant.
- C'est à cette heure-ci que vous vous levez ?
Foudroyé, Sebastian jeta un coup d'œil à son téléphone :
- I-il est 6h30.
Deux sourcils sombres se haussèrent, ébahis. Ce n'était pas étonnant, songea Sebastian, que ses insomnies le fassent perdre notion du temps. Il avait l'air si... perdu. Une seconde plus tard, le masque était revenu :
- Ce n'est pas avec vous qu'on rattrapera le retard, à ce que je vois.
Ça avait claqué. Sebastian n'avait pas de réponse. Il ne voulait pas se battre de toute façon : à quoi bon débattre avec un homme au bord de l'évanouissement ?
- Je m'y mets tout de suite. Est-ce que vous voulez récupérer les dossiers à des heures spécifiques ?
Devant lui se forma alors le visage le plus méprisant, le plus acéré, le plus violent que l'humanité ait jamais vue. Il en eut la nausée. La créature devant lui s'avança d'un pas menaçant et lui cracha :
- Vous êtes vraiment parfait, vous, n'est-ce pas ?
Gorge serrée. Ventre noué. Les yeux qui piquent. Incontrôlable. C'était de l'acide dans ses tripes.
- Mor... Patron, monsieur, balbutia Sebastian, les joues brûlantes. J-je fais ce que je peux pour... J'essaie seulement...
Tout à coup, une douleur lancinante sur son crâne : des doigts crispés, un étau dans ses cheveux. Gémissement qu'il ne put retenir, mains portées à sa tête. Mais une pression soudaine le poussa vers le sol, et son corps comprit avant lui : Sebastian s'agenouilla, vacillant sous la douleur.
- Restez à votre place, Moran, siffla l'irlandais de toute sa hauteur.
Et ce fut fini. Moriarty lâcha prise et quitta, lentement, superbement la pièce, laissant Sebastian complètement désemparé sur le sol.