Chapitre 33~

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  Nous reprenons la route, comme nous le faisions quelques mois auparavant. Ma jambe me fait tellement mal. J'essaye de ne pas y penser, et de ne pas penser à Rena. Quelle merde. Nous aurions peut-être dû rester au camp, je ne sais pas. Enfaite, je ne sais plus. Je ne sais plus quoi faire, ni où aller. Je suppose que ses enculés d'hommes verts n'ont pas tiré que sur notre camp. Nous ne sommes donc sûrement pas les derniers survivants. Ou peut-être qu'ils sont désormais tous fondus du cerveau. Rena est l'une d'entre eux maintenant, y'a pas plus terrible comme mort. Ou alors elle est probablement morte dans l'explosion. Dans tous les cas, je me torture à imaginer cette scène, celle de sa mort. Nous continuons à marcher, dans un désert chaud et calme de champs et de forêt carbonisés. Je ne suis pas à l'aise dans les forêts, je ne l'ai jamais vraiment été. Sûrement parce que j'ai trop regardée de films d'horreur. J'ai l'impression que tout a changé entre Thomas et moi. La situation n'arrange pas les choses, au contraire. Nous sommes tous passés dans un état de survie, comme si seul notre vie à tous comptait désormais. C'est clair que c'est très important, mais le fait est que nous n'avons plus de temps à nous, comme dans le magasin il y a quelques mois, les rires pendant nos longues marches interminables. Tout ce genre de moments disparaissent, et je risque certainement de ne plus jamais les vivre. Nous avons tous grandi et prit en maturité d'un seul coup, nous n'avions pas le choix. J'ai l'impression d'avoir tellement de morts sur ma conscience, alors qu'elles n'étaient même pas de ma faute. J'ai laissé mon frère et ma mère seuls, alors que j'aurais pu rester avec eux, les sauver! Je ne comprends toujours pas le choix de ma mère. Pourquoi m'avoir fait partir? Pourquoi vouloir aider les autres, n'étaient-ils déjà pas assez? J'aurais dû rester, je m'en veux tellement. Puis il y a Tim, ce pauvre enfant qui n'aura même pas eu le privilège de grandir. J'étais impuissante face à sa mort progressive. Et j'ai vu Rena mourir juste sous mes yeux, juste devant moi et je n'ai rien fait, rien du tout. Je l'entends crier chaque seconde, je la sens souffrir chaque minute. Si elle était descendu avant moi, si je l'avais laissée passer elle serait encore en vie. Je suis plus agile qu'elle j'aurais pu m'en sortir aussi! Je suis tellement désolée Rena. J'espère qu'elle veille toujours sur nous, et qu'elle sait à quel point j'aurais voulu la sauver. Je tourne la tête vers Will, et je sais qu'il souffre énormément. La même douleur que j'eus ressenti quand Thomas est tombé dans le coma, et la même douleur que j'aurais ressentie s'il ne se serait jamais réveillé. D'incessants souvenirs me viennent en tête. Des souvenirs du collège, ou du lycée avec Rena. Nous avions vécu tellement de choses, qui valaient la peine de continuer à être vécu. Le destin en a décidé autrement. C'est dans ces moments-là que nous réalisons que chaque petit choix que l'on fait à une très haute importance, car chacun de nos choix modifie l'avenir sur toute la ligne. Il le change de façon irrémédiable. Nous ne savons pas où nous allons, mais nous marchons, encore et encore. La forêt que nous traversons me paraît interminable, et j'ai sans arrêt l'impression d'entendre des bruits. Même si Pipper m'assure que je ne fais que les imaginer, je reste sur mes gardes. Personne ne prononce un mot, comme s'ils étaient persuadés de se faire engorger s'ils disaient quoi que ce soit. J'essaye toujours de ne pas penser à Rena, de ne pas penser au fait qu'on sera sûrement mort dans quelques semaines, voir quelques jours, si ce n'est pas dans quelques heures. J'essaye de ne pas penser à Malcolm et à maman, ni à la fin du monde.
Putain, je sais même pas comment j'ai fait pour rester en vie tout ce temps. Cette forêt est affreuse. Les arbres sont carbonisés et dépourvus de feuilles. Certaines branches brûlent encore, et le sol est aussi noir que les cheveux de Rena. Rena avait de très beaux cheveux.

-Où est-ce qu'on va? Demandé-je.

Personne ne répondait pendant presque une minute, puis Will prit la parole.

-J'en sais vraiment rien. On marche, c'est tout.

-On va pas pouvoir marcher jusqu'à ce qu'un fondu nous saute à la gueule... Répondis-je.

-Oh, excuse-moi Kaya, dit-il sur un ton ironique, t'as peut-être une meilleure idée? Parce que je pense que si t'avais pas été là, on serait encore tous en vie! Hurle-t-il.

Je m'arrête, choquée et profondément blessée par les paroles de Will. Il me regarde, le visage déformé par la colère, et reprend sa marche. Je sens les larmes montées jusqu'à mes yeux, et fait tout pour les retenir. Thomas se retourne vers moi, et vient me prendre dans ses bras. Je le serre brièvement avant de reprendre la marche à mon tour. Je préfère continuer derrière, encore plus seule que tout à l'heure. Je marche la tête baissée, regardant mes chaussures écraser les cendres. Comment Will peut-il dire une chose pareille? Je suis d'accord sur le fait que je n'ai pas toujours été parfaite, mais merde, je fais de mon mieux! Nous nous arrêtons quelques instants. Je m'assois contre un arbre et souffle.
J'essaye de parler à Will, afin de détendre l'atmosphère, il vient tout de même de vivre quelque chose d'affreux.

-Will...

-La ferme. Crache-t-il.

Je me tais quelques secondes avant de reprendre.

-Je sais que...

Ce que je m'apprête à dire est bien trop dur à croire, ça me paraît surréel, impossible. Je suis pourtant confrontée à la réalité.

-Je sais que le décès de Rena, ça doit pas être évident à vivre pour toi, mais sache qu'on...

-Je t'ai demandé de fermer ta putain de gueule! Hurle-t-il.

Je suis une seconde fois étonnée et choquée par le comportement de Will. J'ai vraiment envie de pleurer, et je tente malgré moi de retenir les larmes qui menacent de tomber.

-C'est de ta faute si elle morte, c'est entièrement de ta faute! Crie-t-il à nouveau.

-Will... Dit Simon.

-Tu savais ce qui allait se passer. Dit-il sur un ton plus calme. Tu savais que ces putains de fondus allaient traverser la vitre. Tu savais qu'elle y arriverait pas.

-Will... Je...

Il parle désormais sur un ton très calme.

-Et tu l'as laissée mourir.

Il se lève et s'éloigne de quelques mètres, de sortes à ce qu'on ne le voit plus. Je suis complètement paralysée, je ne peux plus bouger, je ne peux plus prononcer ne serait-ce qu'un seul mot. Les larmes tombent toutes seules. À quoi bon les retenir, c'est trop tard.
Will a raison. C'est de ma faute.

-Kaya...

-C'est bon, Thomas. J'ai besoin de... J'ai besoin d'être seule, d'accord?

Il hoche la tête, et fait signe à Pipper et à Simon de s'éloigner un peu. Une fois mes amis partis, je fonds en larmes, et me recroqueville sur moi-même. Je pleure, encore et encore, sans pouvoir m'arrêter. Quelques minutes, peut-être quelques heures plus tard, - je n'en ai aucune idée- j'entends un craquement de branches derrière moi. Je cesse de sangloter et me lève doucement, puis sors le couteau de ma poche.
Le bruit d'un chargeur d'arme retentit.

-Pose ton arme.

Unexpected (Le Labyrinthe) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant