13- Claire Duchevreuil

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                              La première journée de cours après les vacances avait été particulièrement intriguante. J'avais trouvé que notre fameuse Issi était comme changée, différente à notre égard. Sylvain et moi étions aujourd'hui ses deux plus chers amis alors je n'avais pas compris son attitude. Nous sommes proches d'elle depuis que Cendrine était partie...

À l'heure du repas, Issélia et moi sommes sorties en trombe du cours de physique chimie, enfin... Plutôt Issélia comme si elle cherchait à nous échapper. Elle m'a lancé un timide salut avant de s'éclipser. Je ne m'attardai pas d'avantage et partis rejoindre ma mère qui m'attendait dans la voiture.

Je discutais un peu avec Pierre, un ami de longue date. Lorsqu'il partit, tout le monde était partis chez soi. Alors que j'allais regagner la voiture de ma mère qui commençait à s'impatienter, j'entendis un bruit de fracas et de verrerie. Intimant à ma mère de patienter encore un peu de temps en la suppliant - je ne voulais pas qu'elle m'abandonne sur le parking comme auparavant - je tournai les talons pour me diriger vers la grande porte du lycée.
Un bruissement familier parvint jusqu'à mes oreilles alors que j'ouvrai le battant d'une des deux portes et je m'arrêtai net. Un courant d'air agita mes cheveux blonds qui me chatouillèrent le cou. Reprenant soudain des forces, j'ouvris la deuxième porte qui obstruait l'entrée et ce que je vis me coupa le souffle. Telle une vraie vision d'horreur, Issélia était couchée les mains sur la tête et un homme tout habillé de blanc se battait avec une épée éclatante contre... une forme difforme noire qui émettait ces agaçants grincements éclectiques.

Je poussai un cri de panique et tendai la main vers cette chose immonde.
Issélia releva la tête, et je m'écroulai sur le sol en proie à une pénible envie de vomir.
Le néant me tendit les bras comme s'il m'attendait. Dans un flot de paroles et d'actes incompréhensibles d'où j'étais, je sentis qu'on s'immisçait en moi. Un force bienveillante, étrange s'introduisait dans ma tête pour me reprendre quelque chose.
Puis le sombre laissa place à un déversement de sons confus qui achevèrent de m'endormir bien qu'ils soient bruyants.

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Lorsque je sentis que je prenais de nouveau réellement conscience de mon entourage, j'étais à l'arrière de ma voiture, assise sur le siège. Je ne savais pas ce qu'il s'était passé ces vingt dernières minutes mais c'était comme si je n'avais pas été présente. Confuse, j'essayais de me remémorer les dernières bribes de souvenirs mais en vain.

_ Comment vas-tu Claire ? demanda ma mère au volant.

_ Bien je crois, répondis-je encore dans les vapes.

_ Ton amie Issélia est sortie du lycée tout à l'heure avec toi... Elle n'avait pas l'air dans son assiette...

_ Ah.

Hébétée, dans un état de lassitude, il m'était impossible de me souvenir de ce comment j'étais rentrée dans la voiture. Quelle frustration ! J'étais le genre à me battre pour une cause qui me semblait valable et pas à chercher ce qu'était mes derniers souvenirs. Je détestais ça si bien que je décidai de me taire et m'éviter des ennuis avec mes parents.

Arrivées dans notre maison new-yorkaise, ma mère et moi furent accueillies par mon petit-frère, Benoît et par Edward, mon père. J'aimais passionnément cette famille et je profitais chaque instant de leur présence parmi nous.

Cependant, nous n'étions pas heureux. Cette maison était ancienne et chaque soir, j'entendais des bruits, des grincements dans les rues d'à côté. Je n'osais pas sortir de mon lit par peur évidente pour regarder derrière les rideaux.
Depuis quelque temps, une rumeur se propageait à travers la toile comme quoi des gens mourraient sans cause apparente. Il n'y avait qu'un seul indice qui était le liquide noir qui dégoulinait de leur bouche.

Comme un empoisonnement. La police recherchait un meurtrier qui aurait fabriqué un poison permettant de passer outre les recherches et limitant le nombre d'indices considérablement à une unique preuve: cet éternel liquide dégoûtant. Mon père faisait parti du commissariat le plus actif de New-York et chaque soir, il patrouillait à travers les immenses dédales de la ville. Il était pour moi comme un héros.

Cette nuit, une fois de plus, mon père claqua sur ma joue un baiser réconfortant avant que j'aille me coucher. Il partit dehors dans les brumes nocturnes du soir.

En pleine nuit, un sifflement attira mon attention. Tétanisée dans mon lit, j'écoutais le son méconnu continuer son ascension vers notre maison. Aujourd'hui, je savais que mon père, le valeureux policier était dehors. Je devais donc faire preuve d'un courage du même acabit que le sien. Enfin... J'essaierai.

Avec des mouvements saccadés, je me dirigeai vers les rideaux de ma chambre qui donnaient sur le jardin près de notre rue. Deux lampadaires éclairaient avec peine les quelques mètres de l'impasse, le reste était plongé dans une obscurité profonde. J'aperçus dans un coin, une silhouette recroquevillée. Les sifflements persistaient, plus forts, plus angoissants. De ma fenêtre, je vis toute la scène. Mon souffle devint quasiment inexistant, j'avais terriblement peur de me faire remarquer par la chose qui approchait. Le long des murs dans l'obscurité, une tâche plus noire encore se détachait et glissait. C'était elle l'auteur des sifflements. Je plissai des yeux afin d'apercevoir le mieux possible à quoi cela ressemblait. Un extra-terrestre ou un humain ?

Intérieurement je riai de ma naïveté et reculai soudainement de la fenêtre en glas. La silhouette recroquevillée dans un coin hurlait de peur. La chose s'était jetée sur elle avec à la fois rage et douceur. Comme si elle avait soif... Soif ?
Je partis me réfugier avec horreur sous mes couvertures essayant tant bien que mal de faire cesser les battements de mon coeur. J'avais peur que la chose ne me repère. Les cris ou pleurs s'étaient atténués mais on entendait un faible sanglot déchiré dans la ruelle.

Faites moi sortir de ce cauchemar ! Je ne mérite pas ça !! hurlai-je à moi même espérant que l'on m'entende.

Toute la nuit, traumatisée par ce que je venais de voir, je pleurais moi aussi toutes les larmes de mon corps.

J'avais assisté au meurtre d'un homme. Mais par qui ?

(Claire Duchevreuil en média)

Les Porteurs d'Hesperūs Où les histoires vivent. Découvrez maintenant