Les Porteurs d'Hesperūs

10- Christopher Blacke

Un liquide noir. Pateux et dégoûtant. Lorsque j'arrivai avec mon épée à la main dans la cuisine, ma femme était allongée par terre, la bouche entre-ouverte, ses yeux à demi-fermés tournés vers le plafond.

Sans plus attendre, j'inspectai la pièce et ne vit rien de particulier. Rien à part les éclats du bol rouge de ma fille. Mon cerveau résonna par lui-même. Le bol, le liquide noir, ma femme...

Je décidai de garder mes réflexions pour moi et entrepris d'aider Madeleine, ma femme à se réveiller. Elle était inconsciente. L'amour de ma vie, était-elle en danger de mort ? Non. Je refoulai les larmes salées prêtes à quitter le bord de mes yeux. En tant qu'Hespéritien, je devais garder mon sang froid.

Je tournai un regard vers ma fille restée immobile.

_ Aide moi.

_ Qu'est-ce qu'elle a ?

_ Je ne sais pas.

Je mentais évidemment mais il ne fallait pas révéler certaines choses. Je voulais croire en le fait que je pouvais protéger les deux femmes de ma vie, seul. Issélia m'aida à soulever le corps souillé par le poison de ma femme. De tout mon coeur, j'espérais réussir à la sauver de cet infernal boisson empoisonnée.

_ Tu sais ce qu'il s'est passé ? demanda la voix tremblante de ma fille.

_ Non mais je le devine.

_ El-elle n'est pas... enfin...

_ Non, sens son coeur, il bat toujours.

Au fond de moi, je pensai "mais pour combien de temps...".

Déposée sur le sofa beige du salon, j'aperçus en levant les yeux les vitres fêlées. Comme si elles craquaient mais de l'intérieur ... si tout ce cauchemar provenait des Ombres, je ne voyais pas comment cela était possible.

D'habitude, les Ombres ne peuvent pas grimper aux murs en verre car le verre est transparent et donc non opaque, pas assez pour qu'elles puissent glisser dessus. Cela m'intriguait.

D'un geste de la main, je parcourais le corps de ma femme secoué désormais de spasmes plus ou moins forts. Issélia regardait sa mère avec des yeux terrorisés, le visage tordu par l'inquiétude. Elle me jetait des regards à ma fois désolant et curieux.

Une nouvelle fois, je reproduisis le même schéma. Ma main s'illumina d'une lueur irréelle. La Guérison. Le Don que mes ancêtres m'avaient offert comme à pratiquement tous les habitants d'Hespérūs. Sans nul doute, je leur étais reconnaissant de pouvoir sauver ma femme. Sa vie la quittait, je le sentais mais la Lumière eut raison d'eux.

_ Vous savez faire ça ? me toisa ma fille.

Je n'aimais pas quand elle me vouvoyait. J'avais l'impression de ne pas être son père. Ces Ombres me le paieraient unes par unes. J'étais sûr que l'avenir de ma fille avait été bouleversé à cause de leur existence.

_ Oui depuis bien longtemps, mon enfant. Toi aussi, tu es normalement capable de le faire...

À vrai dire, elle avait d'énormes pouvoirs mais je préférai qu'elle le découvre seule. Le Don s'apprend en autonomie. La maîtrise arrive après.

_ Oui peut-être.

_ Laissons là ici, je vais appeler Marc pour qu'il patrouille dans la zone. Tu restes auprès de ta mère.

Je ne lui laissais pas le choix. Je ne voulais pas qu'elle s'éloigne de moi même pour aller jusqu'à sa chambre. D'un geste assuré, je tapai les chiffres du numéro de mon plus fidèle ami.

Biiiiip...biiiiip...biiiiip...

Qu'est-ce qu'il fout non d'un chien !!

Biiiip...biiiiip....biiiiiip

_ Oui Allô ?

_ Oui Marc, ma femme a été attaqué par des Ombres.

_ En plein après-midi dans votre appartement qui est en plein soleil ?

_ Oui tu sais bien qu'elle ne peut pas...

_ Oui, j'arrive, dit-il gravement.

Madeleine était née sans lumière, on appelait ces gens très rares dans notre monde, des "Tinùviels" ou Enfants du Crépuscule car ils étaient du pays de la Lumière mais sans son essence. Comme un entre deux. Pourtant, je trouvais qu'ils ressemblaient juste aux humains.

Demain, il faudrait que ma fille aille à l'école. Je la ferai surveiller, je voulais qu'elle aille à l'école comme tous les enfants de notre pays en tout cas. Mais la seule chose qui me déchirait le coeur en la voyant partir, était cette peur constante.

La peur qu'elle ne rentre jamais.

(Christopher Blacke en média mais à vous d'imaginer !;))