Partie 14 Une faucheuse tout en finesse

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Que dire ?

- Le passé, dit Nora énergiquement.

Je me suis retournée vers elle, abasourdie. Mansyur a reprit de l'attention pour elle, qui dû regretter d'avoir donné cette réponse.

- C'est le passé, non ? répéta t-elle, plus bas.

- Le passssssé ne s'effacssse pas, mais on peut perdre la mémoire. On a toussss un passssé, mais persssssonne n'a le même. Bonne réponssssse.

Pour autant, les bruits de pattes se sont accentués. Un cerf et un loup sont apparus juste devant nous, à l'entrée des escaliers. Nora a étouffé son cri. Un renard, un chien, des oiseaux, sont apparus petit à petit aux côtés des deux premiers. Leurs ombres se mouvaient automatiquement, des yeux jaunes remplaçaient les pupilles habituelles des animaux.

Cependant, ils n'ont pas fait un seul mouvement.

Le serpent en face de nous a ondulé de plus en plus, jusqu'à grandir et prendre forme humaine. C'était l'homme à la cape bordeaux que j'avais vu. Il portait toujours le signe du soleil et de la l'une, et son bâton. Je savais évidemment que c'était encore Mansyur. Les apparences sont trompeuses.

- Nos expériences peuvent paraître brutales, mais nécessaires. Si l'on veut sauver ce monde, il n'y a qu'une chose à faire, détruire les prêtresses et restaurer l'ordre naturel.

- C'est des conneries, tout ça ! Si vous vous souciez vraiment du monde, vous ne nous détruiriez pas ! L'ordre naturel, comme vous l'appelez, n'existe plus. Cynthia l'a brisé, pour de bon !

L'homme ne semblait pas convaincu. En fait, je ne voyais pas son visage, mais son silence est révélateur. De plus en plus, j'avais la nette impression que ce n'était plus Mansyur qui parlait, mais le véritable homme qui le contrôlait.

- C'est quoi, ce signe, sur votre cape ? demanda Nora.

Il regarda sa cape avant de redresser la tête. Il parut sourire.

- Bonne question. C'est la croix des cieux, le signe d'Hélios, dieu du soleil, et donc de la puissance, ainsi que le signe d'Hécate, la l'une, la magicienne rusée, sans pitié. Ce sont nos aides dans notre mission. La force et la ruse. Nous possédons tout. Vous n'avez que la force.

- C'est faux, ai-je protesté.

- Vous ne mettez en place aucune ruse, c'est pitoyable. Mais bon, je ne vais pas vous apprendre à nous défaire, ce serait idiot.

L'homme leva son bâton et sa pierre orangée commença à scintiller. C'était le véritable homme à la cape.

- Attendez ! le stoppa Nora. Qui êtes-vous, exactement ? Ça se fait pas de se pointer comme ça, en annonçant la destruction de tout un clan, sans s'être un minimum présenté !

- Mes excuses, j'en oubli la politesse. Je suis Reaper, la faucheuse. Le contrôleur de la pierre de l'Aube, et votre pire menace. Expérience terminée, finit-il en levant son bâton de nouveau.

Sa foutue pierre orangée au bout de son bâton devait être cette fameuse pierre de l'Aube. Cette dernière nous éblouit et nous aveugla pendant plusieurs minutes. Mes mains cherchaient Nora, introuvable. Je l'appelais sans réponse.

J'avais l'impression de flotter dans l'espace-temps. Ça me permit de réfléchir, au moins. C'est une bonne chose. Pour résumer, l'homme contrôlant Mansyur s'appelait Reaper, plutôt chouette. Grâce à sa surnommée pierre de l'Aube, il pouvait se protéger de tous les esprits, y compris Mansyur qu'il tenait en esclavage. Ce gentil Reaper souhaitait détruire l'ordre que les prêtresses avaient établi pour faire revenir la vie comme elle l'était avant Cynthia. Autant dire qu'il poursuivait une utopie.

En me relevant, j'étais de nouveau dans le Manoir, Nora à côté de moi. Elle me souriait à pleines dents. Il fallait avouer que cette petite expérience m'avait permis de faire plus ample connaissance avec cette fille, que je trouvais de plus en plus courageuse, et bizarre. Ça me faisait du bien, une amie vivante. Elle pouvait goûter aux choses dont je ne pouvais plus faire l'expérience. Je n'étais pas jalouse, au contraire. J'étais heureuse de pouvoir profiter du bonheur des autres.

- Tu cherchais Angel, non ? Elle est revenue, avec de la compagnie, me dit-elle.

Je me suis tournée, et j'ai vu la prêtresse lumineuse en bas des escaliers, les bras croisés. Elle me regardait impatiemment, comme si elle m'attendait depuis des lustres. Je me suis ruée sur elle, énervée.

- Où étais-tu pendant que ta famille avait besoin de toi ?

Les poings serrés, j'attendais sa réponse. Nora ne m'avait pas suivi, elle s'était éclipsée.

- On en parlera un autre jour, tu veux bien ? L'heure n'est pas encore venue. Tu comprendras tout. Pour l'instant, je t'ai ramené toutes les futures cibles de Mansyur. À nous de faire notre devoir et de les protéger, n'est-ce-pas ?

- Tu oses me parler de devoir ? Après tout le cirque que tu fais, tu oses ?! Qu'est-ce qui me retient de te tuer, sur le champ ?

- La loyauté, ma brave, me répondit-elle, nonchalante.

Elle fit tourner ses boucles noires entre ses doigts et se tourna pour me montrer les nouveaux arrivants. Elle me les présenta un par un, dans l'ordre de ciblage.

Après Maddie, Aimé, un jeune homme du signe de la balance. Il avait la pacifique attitude. C'était bien, il ne paniquerait pas. Ensuite, la scorpion, Line Blake, rebelle et probablement fauteuse de troubles. Pas de rencontres avec Nash, tout ira bien. Le sagittaire, Oscar Daniel, richissime et humble, très rare. Puis, le capricorne, un certain Thibault, pas intéressant. Le verseau, je ne vous cacherai pas ma surprise. J'y reviendrais. Le dernier, le poisson, Julien.

J'ai fait l'impasse sur le verseau. Si j'avais pu, je lui aurais sauté dans les bras. Mais notre dernière rencontre c'est très mal passée. Il s'agissait de Cécilia, ancienne, je suppose, meilleure amie. Si vous vous souvenez, je vous avais dit que la raison pour laquelle j'avais été internée était parce que j'avais planté un ciseau dans l'œil de quelqu'un, non ? C'était son père.

Cécilia était une petite brunette, de mon âge, qui possédait une mèche rose près de son visage. Elle la calait derrière son oreille et remuait ses pieds timidement. Elle avait toujours ses vieilles converses bleues, délavées et déchirées. Elle ne souhaitait pas s'en séparer, à l'époque où je la connaissais. C'était toujours le cas, apparemment.

En me voyant, elle écarquilla les yeux, ouvrit la bouche mais la referma aussitôt. Elle me jeta le regard le plus meurtrier de ma carrière. Même Mansyur, à côté, c'était de la tarte. Cécilia détourna les yeux sur quelque chose de beaucoup plus passionnant, un mur.

J'allais dire quelque chose, me disputer avec Angel, accueillir nos nouveaux arrivants, n'importe, mais Robin me coupa toute parole.

Il apparut en haut des escaliers, glissant presque sur le parquet tant il allait vite. Il sauta sur la rambarde et bondit jusqu'à nous. Essoufflé, il fit un effort surhumain pour reprendre un rythme normal rapidement. Nos nouveaux arrivants le regardaient étrangement, comme s'il était fou. Certains paraissaient plus inquiets, cependant.

- Je ... je t'ai cherché partout ...

- Calme-toi, Robin. Qu'y a t-il ?

Angel et Nora s'étaient approché pour mieux entendre.

- Maddie ... Maddie est morte ... tuée ...

Prêtresses T2 L'avènement de MansyurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant