Partie 32 Équilibre

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Dans un cri de guerre, j'ai continué de foncer tel un rhinocéros et j'ai atterri sur Mansyur. 

La lame était plantée droite dans l'emplacement de son cœur. L'ombre a disparut au fur et à mesure, laissant place au corps d'une femme gisant à terre, du sang noir s'échappant au coin de ses lèvres. Ses yeux jaunes ont brillé avant de s'éteindre. Puis, son corps a fondu et a été aspiré par la clairière. 

Tous les loups autour de nous ont fondu à leur tour, s'enfonçant dans les profondeurs de la terre. Plus aucun ennemi ne se présentait. 

J'ai respiré un grand coup. 

C'est alors que j'ai ressenti un énorme vide. J'ai regardé Jade, et le regard qu'elle m'a lancé m'a indiqué qu'elle l'avait eu aussi. L'impression que plus rien ne gardait tes pieds sur Terre, d'être aussi légère que de l'hélium. 

Dans le ciel, des milliers et des milliers de lumières blanches ont rejoint les étoiles. Une pluie d'étoiles filantes à l'envers, ce n'est pas tous les jours qu'on y assiste. 

  - Toutes les âmes perdues ... retournent au paradis, s'exclama Jade. 

Je regardais la scène, interdite. 

  - Que se passe-t-il ? demanda une prêtresse. 

  - L'équilibre du monde ... commença une autre. 

  - ... serait-il restauré ? finit une troisième. 

Au point central de la clairière, là où j'avais éliminé Mansyur, une petite lumière dorée flottait. Une lumière douce, pleine de certitudes et de rêves, une lumière rassurante, vitale. La chaleur qu'elle dégageait me donnait envie de la prendre et de la serrer dans mes bras, de me remplir de son ataraxie. Merci Épicure. Si vous ne connaissez pas, je suis trop détendue pour vous faire un cours, alors vive internet ! 

L'équilibre est enfin restauré.  

Cette voix qui jaillit des profondeurs de la lumière me fit sursauter. Je la reconnaîtrai entre mille. 

  - Cynthia ? 

Robin, Nora et Maxence se sont échangés des regards consternés. 

Les prêtresses se sont inclinés par réflexe. La prononciation de ce nom était sacrée. Malgré les actions et intentions de Cynthia, elle restait notre Créatrice. 

La partie qu'elle a dû supprimer pour détruire l'équilibre, oui, dit la petite voix. 

Cynthia avait donc enterré sa bonté dans les tréfonds des ténèbres pour arriver à ses fins, c'est-à-dire à détruire l'équilibre qui permettait aux esprits de passer dans l'au-delà sans problème. 

Je suis ravie que tout soit rentré dans l'ordre. Mon vœu est exaucé. Je peux retourner dans mon corps originel. Merci à toi, Isallys Macias. 

Elle avait prononcé mon nom complet, celui que je n'avais pas entendu depuis si longtemps. Macias, mon nom de famille. Un nom que je trouvais ridicule, à l'époque. Mais la sonorité qu'en avait fait Cynthia me prouvait que j'avais tort. Peut-être étais-je vraiment un "don de Dieu", comme l'étymologie de mon nom de famille l'indiquait. 

La lumière s'est éteinte, pour l'éternité. Et mon âme s'est sentie de plus en plus légère. Prête à s'envoler. Prête pour de nouveaux horizons. 

Le monde n'avait plus besoin de prêtresses. L'ordre était restauré. Le Conseil était détruit. Les prêtresses n'avaient aucune raison de rester, et le ciel semblait nous appeler. La seconde vie nous était maintenant offerte, après tant de sacrifices et de devoirs. 

Une par une, autour de moi, les prêtresses se sont mises à disparaître, enveloppées d'une lueur blanche éternelle. La pureté à l'état brut. Les éclats se sont levés. Une par une, mes sœurs ont trouvé la paix. 

Jade m'a sourit, et son regard s'est illuminé lorsqu'elle a levé les yeux au ciel. 

  - Hugo ... 

Le sourire scotché au visage, elle s'est élevée à son tour et a disparu dans une pluie de diamants. 

Je me suis sentie de plus en plus libre, le cœur moins lourd, les pensées moins noires. Soudain, le monde m'a semblé être une gigantesque boule à neige. J'étais un de ses flocons avec lesquels on s'est amusé, puis qui se déposent délicatement sur le sol avec répit. Une belle pluie inverse. Le paradis m'attendait. La paix intérieure. L'autre monde. 

J'ai levé les yeux au ciel, et mon cœur s'est allégé. 

Au dessus de moi, mes amis m'attendaient. 

  - Tu en as mis du temps pour tout régler, sans moi, sourit Cindy. 

  - Je suis fière de toi, Lys, murmura Élie. 

  - Trop content de te revoir, Isallys ! Tu me raconteras tout, hein ! dit Arthur. 

  - Tu es une prêtresse très courageuse, je l'ai toujours su, a affirmé Reine. 

  - Lysou, je t'attendais, s'est exclamé Nash. 

  - Je suis désolée, j'aurai aimé être meilleure avec toi, a déclaré ma mère. 

  - N'oublions pas mon aide dans le lot, a rouspété Angel. 

  - Alors, gamine, tu comptes attendre le carrosse avec les souris ? a rit Esméralda. 

Mes joues me brûlaient tant mon bonheur était immense. Je les retrouvais enfin ! Ils m'avaient tant manqué ! J'ai tendu les mains vers le ciel, rayonnante de plaisir. 

Avant de les baisser soudainement. 

J'ai tourné la tête vers Robin, dont les larmes discrètes ne s'arrêtaient pas de couler. 

  - Mon seul et unique amour ... ai-je murmuré. 

Il a tendu ses bras vers moi, et mon âme translucide s'y est réfugiée. Sans contact, nous nous sommes dit adieu. 

  - Ne t'en va pas ... Je t'aime, je t'aime ... je t'aime tellement ! pleura-t-il. 

  - Robin, tu es comme la plume pour un écrivain, tu m'es essentiel, tu comprends ? Ça veut dire que je t'attendrais. Je t'attendrais jusqu'à ce que la vieillesse t'emporte, et je t'accueillerais à mes côtés. En attendant, vis, je t'en supplie. Je t'en prie, vis. 

Les larmes de Robin redoublèrent. 

J'ai aperçu Nora, reculée. Ses larmes me firent chaud au cœur. On ne devrait pas se réjouir du malheur des autres, mais lorsqu'on se rend compte à quel point on est aimé, ça nous comble de bonheur. J'ai pointé Nora, et j'ai dessiné un cœur avec la poudre blanche que je dégageai.

  - Adieu, Nora Niympen Nasibe. 

  - Au revoir, chef, a-t-elle articulé difficilement. 

Puis, elle s'est cachée dans les bras de Maxence, qui ne la refusa aucunement. 

Lentement, mon âme s'est élevée dans le ciel, me détachant des bras protecteurs de Robin. 

Il a cherché à me récupérer, mais ses mains passaient à travers la volute blanche que je formais à présent. Il est tombé à genoux, tapant du poing dans la terre. Son visage tordu de douleur et de tristesse m'a donné une certitude. Je l'attendrai. Autant de temps qu'il le faudrait, je l'attendrai. Même s'il m'a oublié et qu'il refait sa vie ailleurs, même si je ne représente que la douleur pour lui, je l'attendrai. 

Je lui ai donné mon plus beau sourire et, dans un dernier geste, je lui ai envoyé un baiser. 

La dernière chose que je sentis fut une sensation de paix absolue, et le bonheur de retrouver des présences familières. C'était un point final à mon histoire, à mes aventures. J'étais désormais dans la voie lactée du souvenir. 

Adieu.

Prêtresses T2 L'avènement de MansyurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant