Chapitre 5

27 5 1
                                    

Eléna


J'entre dans la chambre d'un patient, accompagnée d'une infirmière. Je regarde rapidement son dossier et m'approche du vieux monsieur, allongé dans son lit. Il est en train de regarder le journal de 20 heures à la télévision. Il me voit et me sourit. Il redresse son lit avec sa commande.

- Bonsoir, Mr Franckser. Bonne année ! Comment allez-vous ?

- Bonne année. Oh, j'ai toujours mal, dit-il d'une voix fatiguée. Mais j'arrive à le supporter.

- L'opération est prévue demain. Vous allez devoir vous priver de petit-déjeuner, désolée !

- Ce n'est pas mon plus gros souci. Pourriez-vous me passer mon téléphone s'il vous plaît ? Il est dans la poche de ma veste, dans le placard. Je souffre trop pour me lever.

- Bien sûr.

Je me tourne vers les portes du placard et en fais coulisser une. Une veste marron est suspendue sur un cintre. Je me mets à fouiller dans les poches et mon cœur bondit dans ma poitrine. Un portefeuille ! Je contracte tous mes muscles pour essayer de me calmer. Je frissonne et regarde l'infirmière. Je lui fais signe de partir. Elle quitte les lieux et mon regard revient au manteau de mon patient. Une centaine d'images défilent dans ma tête. Je le prends ou pas ?

- Docteur, tout va bien ?

Je ne réponds pas, incapable de bouger mes lèvres.

- Docteur Feder ?

- Oui, mais je ne le trouve pas. Attendez, je recommence.

Je m'empare du portefeuille et le glisse dans la poche de ma blouse. Je prends le portable et le donne au monsieur avec un faux sourire.

- Merci, il faut que j'appelle ma fille. Vous êtes certaine que tout va bien ?

- Il ne manque plus que les patients s'inquiètent de la santé de leur médecin !

Il rigole et relève sa couverture.

- Je vous laisse tranquille alors ! A demain.

- A demain.

Je sors de la pièce au pas de charge. J'observe les couloirs pour voir s'il y a quelqu'un. Une fois rassurée, je m'enfuis. Je cours en évitant les brancards et les charriots de matériel. Je m'arrête devant mon bureau et ouvre la porte à la volée. Je rentre et la referme à clé. Je soupire et m'allonge sur mon canapé en cuir rouge. Je quitte mes baskets et enlève ma blouse. Je reprends le portefeuille et l'ouvre : cinquante euros. Une carte bleue, d'autres cartes de fidélités et des papiers. Tout ça pour ça. Je souffre de kleptomanie. Mais moi, je ne me contente pas d'un simple portemonnaie, ce que j'aime ce sont les mallettes remplies de billets de cinq cents. Pendant une période de ma vie, j'ai sombré dans ma maladie. Je faisais partie d'un gang qui faisait de gros braquages. Nous nous étions fait des millions. Mais ça a mal tourné. Depuis, je vais voir un psychiatre. C'est un ami à moi que je vais voir tous les mardis après mon service. Je n'arrive pas à guérir. Je suis obnubilée par le vol et l'argent. Pourtant j'ai un bon métier qui me rapporte bien mais ça ne me comble pas. C'est l'argent sale que j'aime. Celui que je gagne illégalement. J'étais tellement heureuse quand je cambriolais des banques et des bijouteries. Ma vie était excitante, palpitante. Mais je ne peux pas recommencer, les risques sont trop élevés. Je pourrais perdre mon mari et mes enfants et aller en prison. Je ne veux pas. J'ai été obligée de couper les ponts avec mes anciens alliés. Nous étions tellement proches ! De vrais frères et sœurs. Mais je ne peux pas les revoir, ils me demanderaient de reprendre mes activités. Et c'est infaisable.

- Eléna ?

Je tourne la tête et vois Fabrice Clark par la fenêtre. Mon ami et psy.

- J'arrive ! je m'écrie en me levant lentement.

Je vais ouvrir la porte et me rassois immédiatement. Il reste sur le seuil, à me regarder. Il est grand, brun avec des yeux bleu hypnotisant. Sa barbe de quelques jours lui donne un côté charmeur. Il remonte ses lunettes sur son front et s'approche de moi.

- Que t'arrive-t-il ? me demande-t-il en fronçant les sourcils.

Je lui montre l'objet du crime.

- Je vois, déclare le médecin en tournant à nouveau le loquet de ma porte. Tu as volé ça à qui ?

- Un patient, bien entendu. Pas un collègue. La plupart sont bien trop obsédés par leur argent pour le laisser traîner !

Fabrice s'assoit timidement près de moi et me lance un regard plein de tendresse. Je garde les yeux rivés sur le sol. J'attrape mon élastique et détache mes cheveux, violemment.

- J'en ai marre ! Je ne suis pas assez forte ! Je ne pourrais jamais arrêter ! J'aime trop ça. L'odeur de l'argent, sa matière, sa valeur...

- Tu es assez forte Eléna ! Tu sauves des vies tous les jours, tu crois que ce n'est quelque chose d'extraordinaire, ça ? Tu es une femme intelligente et courageuse. Je ne vois pas pourquoi tu échouerais.

- J'étais plus heureuse avant. C'est ça le véritable problème. Laisse-moi. Je dois réfléchir. On va dire que je prends ma pause de midi. A plus tard.

Il me regarde, désespéré et se relève. Il sort de la pièce et me regardant par-dessus son épaule. J'entends mon Samsung vibrer dans la poche de ma blouse. Je l'attrape et vois l'image de ma sœur, affichée sur l'écran. Elle choisit toujours le meilleur moment pour m'appeler, elle ! Je secoue la tête et porte le téléphone à mon oreille.

- Salut, ça va ? dit-elle d'une voix enjouée.

Elle a l'air content. Une nouvelle prime ? Ou peut être est-ce en rapport avec l'homme qui est venu chez elle, hier soir. Elle a le don pour me changer les idées. Elle va certainement m'aider à me sortir ce portefeuille de ma tête. Je souris et lui réponds :

- Bonjour. Tu es bien joyeuse, que t'arrive-t-il ? Tu t'apprête à commettre un meurtre sur un politicien ou un avocat influent ?

- Non même si j'aimerais qu'il y ait moins d'hommes de loi. Bref, le mec que j'ai rencontré va finalement être mon nouveau coéquipier. Il a rapporté plein d'armes américaines !

- Heureusement que nos appels ne sont pas sur écoute, nous serions derrière les barreaux depuis longtemps.

- Je suis déjà allée en taule, ça me fait pas peur ! Je me demande quel fusil je vais trouver. Cet Andy n'est peut être pas un si mauvais gars que ça...

Je souris. Heureusement qu'Avril est là pour me raconter sa vie de folie.

- Il a l'air de bien te plaire ! Quel est son nom de famille ? 

Ma jumelle reste muette pendant quelques secondes et réplique :

- Andy McDawn. Mais tu te trompes complètement. Tu sais très bien que je ne tombe jamais amoureuse. Je ne sais même pas ce qu'est l'amour. En plus ce n'est pas du tout mon style. Je préfère les mecs comme Roman. Même Maxwell est plus à mon goût. Tu te souviens d'eux ?

- J'essaie d'oublier. Enfin, tu fais ce que tu veux. J'ai été contente de te parler, j'en avais besoin. Mais il faut que j'y aille. J'ai du boulot. On se voit bientôt !

- Non, on prépare une fusillade cette semaine. On doit faire du repérage. Je vais rester à la planque pendant quelques jours. Désolée mais moi aussi je travaille ! Allez, ciao !

Elle raccroche sans me laisser dire un mot de plus. Elle mène une telle vie ! Je ne sais pas comment elle fait pour tenir. Elle doit avoir un mental d'acier. Avril a dû tuer tellement de gens... Comment ne pas culpabiliser ? Je ne lui ai jamais demandé si elle aimait son job. J'ai peur de la réponse.

CriminellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant