Note personelle : éviter Murphy

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- Ne te retournes pas, mais le gars qu'on vient de croiser, tu l'évites à tout prix.
- Pourquoi? Non, laisse-moi deviner, c'est un "bad boy"?, je demande en mimant des guillemets avec mes doigts.
- Murphy n'est pas un bad boy. C'est juste un connard.
   Raven, la fille qui vient de me faire visiter mon nouveau lycée, a prononcé le mot "connard" avec une telle intensité que je me contente d'un hochement de tête. Note personnelle numéro une : éviter Murphy.
- Bon, c'est pas tout mais moi j'ai cours dans 5 minutes et toi aussi d'ailleurs, dit-elle en se penchant sur l'emploi du temps que je tords - pardon tiens - nerveusement entre mes mains. Tu as physique en classe B204 avec Madame Hubert. C'est dans le bâtiment principal, deuxième étage, troisième porte sur la droite. Tu penses que tu peux trouver toute seule?
- Deuxième étage, troisième porte sur la droite. Je peux y arriver, je réponds plus à moi même qu'autre chose.
- Ok. La pause de midi commence à 11h45, donc si tu veux aller manger avec moi et mes amis tu n'as qu'à nous rejoindre sous le grand chêne là-bas, dit-elle en pointant le dénommé chêne du doigt.
- Merci, Raven.
- De rien, ... je suis vraiment désolée, mais c'est quoi ton prénom déjà?
- Ava. Ava Parrish.
- De rien, Ava Parrish. Je sais ce que c'est d'être nouvelle, et en plus changer de lycée et de pays en plein milieu d'année scolaire, ça ne doit pas être facile. Bon, je dois filer, à plus!
   Elle part en direction de ce que je crois être le gymnase, et moi je me mets en marche vers le bâtiment B. Les mots de Raven me restent dans l'esprit. Si elle savait comme elle a raison! C'est une des pires tortures que mes parents m'ont infligée en déménageant sur un coup de tête en France il y a à peine deux semaines. Je n'ai même pas eu le temps de faire mes adieux à mon Angleterre natale... Mais d'un autre côté, la culture française m'a toujours intéressée, moi et ma mère, et c'est pour cela que je parle parfaitement la langue. Et de toute façon c'est un lycée international, donc je ne dois pas être la première nouvelle d'outre-manche qui se pointe ici.
   Grâce aux explications de Raven, je trouve facilement la salle de classe. Et grâce à mon allure de marche très rapide, j'ai réussi à être en retard dès le premier cours. Tous les élèves sont assis à deux par paillasse, et la professeure a déjà commencé à écrire au tableau. Elle doit avoir la cinquantaine et ses cheveux bruns sont coupés très courts. Je pousse la porte entrebâillée, espérant faire une entrée discrète, mais cette dernière se met à grincer horriblement fort, ce qui fait qu'une bonne vingtaine de paires d'yeux se posent sur moi. Bingo.
- Mademoiselle? Vous êtes?
- Ava Parrish, dis-je dans un souffle, et je remarque seulement maintenant que j'avais retenu ma respiration.
- Pardon?
   Elle met sa main autour de son oreille et se penche vers moi, ce qui provoque des rires parmi les élèves.
- Ava Parrish.
- Ah, vous devez être la nouvelle. Tout droit du Royaume-Uni, à ce que j'ai pu entendre dans la salle des profs. Bien, il reste des places dans le fond, allez-vous y asseoir. Mais ne pensez pas que je ne vous ai pas à l'oeil, mademoiselle.
   Je me dirige vers le fond, essayant de ne pas marcher sur les sacs qui encombrent le passage et lève innocemment les mains lorsque j'entends son avertissement. Cela provoque l'hilarité de mes nouveaux camarades, et je baisse immédiatement les mains et les passe autour des sangles de mon sac à dos. Sac à dos rose délavé que j'ai depuis des années, et qui fait tâche parmi les sacs à mains de marques que les filles portent ici. Je m'installe sur un tabouret, juste à côté de la fenêtre et suis en train de sortir de quoi écrire lorsque j'entends le bruit bien trop familier de la porte qui s'ouvre.
- Encore en retard, John. Ça fait la combientième fois, cette semaine?
- Content de vous voir aussi, Jackie, rétorque-t-il comme si c'était la chose la plus banale de l'univers.
   Je l'entends se faufiler dans les rangs mais ne me fais pas de souci: il reste deux paillasses derrière moi et trois de l'autre côté, ce qui nous laisse dix places vides qu'il va sûrement préférer à ma compagnie. Et c'est le cas, puisque je l'entends passer à côté de moi lorsque je suis soudainement plongée dans la contemplation d'un de mes stylos.
- John, arrête-toi. Fais demi-tour et viens t'asseoir à côté de notre nouvelle amie. Oh, mais quelle horrible hôtesse je fais : John Murphy, Ada Parrish. Ada Parrish, John Murphy.
    Ce dernier s'arrête, se retourne et... lève innocemment les mains, comme je viens de le faire il n'y a pas cinq minutes de cela. Il faut vraiment que j'arrête de faire ça.
- Ceci étant fait, qui peux me rappeler la structure d'un atome de...
   Tandis que Madame Hubert retourne à son cours, j'aperçois mon nouveau partenaire de labo s'installer à côté de moi. Il porte un jean usé aux genoux, un t-shirt vert et une veste noire avec un curieux matériau rouge à picots sur l'épaule gauche. Il a les cheveux foncés, un peu plus longs que la plupart des garçons, un front et un nez volontaire ainsi que des yeux dont la forme ne pourrait pas être décrite au premier abord. Et encore moins quand on fait semblant de s'intéresser à un stylo à paillettes roses.
   Le cours se poursuit sans encombre. Pour ma chance, j'ai déjà traité le sujet dans mon ancien lycée et me contente de prendre deux-trois notes pour remplir ma feuille. À la fin de l'heure, je vois que mon voisin n'a guère fait plus, voire encore moins, et je le surprends à m'observer lorsque je range mes affaires. Il vient de passer son sac par dessus l'épaule et commence à s'éloigner lorsque je l'interpelle.
- John!
   Je me rends immédiatement compte de la stupidité de mon action et  deviens rouge pivoine. Heureusement que nous sommes parmi les derniers à quitter la classe! Il se retourne, une main dans la poche, l'autre autour de la bretelle de son sac, et je lis sur son visage qu'il s'attendait à tout sauf à ça. Et moi aussi, d'ailleurs.
- Je... je ne m'appelle pas Ada mais...
- Je m'en doutais, dit-il avec un sourire narquois. On dirait plutôt que tu t'appelles Brunhilde ou Svenja ou... non, Helga!
   Je reste plantée sur place tandis qu'il se retourne et sort de la classe. Oui, je suis blonde, très blonde même, mais...
- Ava. Je m'appelle Ava en fait. Pas Ada. Ava avec un "v" comme dans "vélo".
- Et moi Murphy. Pas John. Murphy. Avec un "m" comme dans "Helga".
   Sur ce, il s'engouffre dans le couloir plein d'élèves et je reste sur le seuil de la porte à espérer que la vague de lycéens passe. En espérant qu'elle passe un jour.

John Murphy » The 100 AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant