59 euros

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   Pour faire court: je n'ai rien trouvé. 

   La mère de Clarke nous a déposées au centre commercial le plus proche - 40 minutes de route, approximativement - et nous avons passé presque toute la journée à essayer de trouver nos tenues pour HEAUME-COMING. Clarke a jeté son dévolu sur une longue robe qui se veut probablement être une imitation satin rouge, qui lui va à merveille. Au début, elle était un peu récalcitrante en disant que ce n'était pas vraiment son style, mais j'ai réussi à la persuader du contraire. Bellamy me remerciera plus tard.

   De mon côté, j'avoue que j'ai été tentée d'acheter exactement la même robe - avec l'aval de Clarke, bien entendu -, mais je m'en suis finalement abstenue: 59 euros pour quelque chose que je ne porterai certainement qu'une ou deux fois dans ma vie ne rentre pas trop dans mon budget. Mon amie a proposé de m'avancer la somme, mais je me trouve un peu jeune pour crouler déjà sous les dettes. 

- Tu es sûre que tu ne veux pas qu'on aille voir dans d'autres magasins encore? me demande Clarke pour la énième fois alors que nous sommes dans la voiture sur le chemin du retour. 

- Certaine. Ne t'inquiète pas pour moi, je vais bien trouver quelque chose. J'ai une robe très bien qui pourra parfaitement faire l'affaire.

- La robe bleue? Ta seule robe? 

- Elle est très bien!

- Je ne dis pas le contraire, je dis juste qu'on va demander à... je sais pas, à une des filles si elles ont pas quelque chose d'un peu plus dramatique en stock. Fais-moi plaisir, Ava, je peux pas être la seule à déambuler dans une robe qui dit clairement "je viens de tuer mon quatrième mari avec un couteau dans la cuisine et je m'apprête à me servir une coupe de vin hors de prix dans un verre à champagne".

   J'hausse perplexement un sourcil et nous passons le reste du trajet à parler robes. Lorsque nous sommes de retour dans notre chambre, Clarke convoque en urgence Harper - et quand je dis en urgence, j'exagère à peine - pour que cette dernière puisse me prêter une tenue. J'ai beau préciser que la soirée n'est que dans une semaine, rien à faire : j'ai eu le droit d'essayer absolument chaque robe qu'Harper possède, et c'est peu dire. 

   Finalement, j'ai choisi une robe vert émeraude à manches longues qui va jusqu'à mi-mollet, et les filles ont semblé approuver ma décision. 

- Par contre, commence Harper, je ne sais pas du tout ce que j'ai comme chaussures. Tu fais du combien, trente-neuf? Ouais, ça devrait aller, je fais du trente-huit mais au pire tu serres un peu les orteils. Mais ça ne change rien au fait que j'ai pas vraiment de chaussures pas trop hautes...

- Pas besoin, l'interrompt Clarke, j'ai déjà une paire que je lui prête. Tu sais, les sandales à talon noires que j'avais mis à la fête de fin d'année il y a... deux ans, je crois? Celles où j'arrivais pas à marcher avec et que je me suis tapée la honte de ma vie?

- Euh... oui, je vois! Mais... sans vouloir te vexer, Ava, tu n'as pas vraiment l'air de savoir marcher avec...

- Et c'est là qu'on s'est toutes trompées!, s'exclame Clarke. Elle marche avec comme si c'étaient des chaussons, je te jure!

   Un peu gênée, j'hoche la tête.

- En troisième, j'avais une amie qui tenait à tout prix à savoir marcher avec des talons hauts comme cinq immeubles, et pour une raison ou une autre je l'ai suivie dans son... projet et me voilà avec un talent hautement utile sur les bras, et c'est le cas de le dire.

- Wow, si j'avais su, je m'y serais mise plus tôt... soupire Harper.

   Harper et Clarke discutent ensuite de tout et d'autre dans la chambre et même si je sais qu'elles m'affirmeraient le contraire, je me sens un peu de trop. Ça se voit qu'elles se connaissent depuis des années. Même si elle est super gentille, force est de constater que je n'ai pas souvent eu l'occasion de parler avec Harper et je n'ai pas envie de les déranger. Aussi je ne peux m'empêcher d'être un peu soulagée quand elles disent qu'elles vont à la bibliothèque pour travailler. Douce nuit, quelle superbe personne je fais.

   Je décide de faire comme les filles et d'être au moins un peu productive aujourd'hui. J'ouvre mon ordi et commence à rédiger un devoir de philosophie qui est à rendre pour la semaine prochaine. La prof nous a demandé d'écrire un petit commentaire de texte sur un passage de Rousseau et l'impact que ses paroles peuvent ou ne peuvent plus avoir dans notre société actuelle. 

   Honnêtement? Je n'en ai aucune idée. J'ai envie d'écrire «oui mais non» comme réponse, mais je me force à taper quelque chose de mieux. Au final, j'ai l'impression d'uniquement aligner des mots sans qu'ils aient beaucoup de sens les uns à la suite des autres, juste pour pouvoir allonger le truc. 

   Au moment même où je pose le point final, j'entends mon téléphone vibrer. J'enregistre le document, ferme mon ordinateur et jette un coup d'œil au message qui vient d'arriver. C'est de Murphy. Il me demande si on peut se retrouver dans la cour d'ici cinq minutes. Un second message arrive juste après, où il explique que comme monsieur Ground est dans les parages, la cour semble être l'option la moins risquée et la plus légale. Je lui réponds que j'arrive.

   Après un moment d'hésitation, je décide de ne pas emmener de gilet pour sortir - les températures sont encore astronomiquement hautes pour une fin de septembre. Je referme la porte de la chambre derrière moi et descend les marches de l'escalier avant d'apercevoir Murphy qui m'attend à l'entrée.

- Salut, Ava.

- Salut. Tu as cours? je demande en voyant le sac qu'il porte à l'épaule.

- Yep, j'ai soutien en histoire de 16 à 18 heures. Un samedi. Tu te rends compte?

- C'est pour la bonne cause, Murphy. Mais tu devrais te dépêcher alors, il est moins dix, dis-je en me souvenant des chiffres que je viens de voir sur l'écran de mon portable.

- Je sais, je sais, c'est juste que... en fait, ce matin j'avais un autre cours, sauf que c'était la cata parce que j'arrivais pas à me concentrer à cause d'un truc, et du coup je me suis dit que j'allais pas faire pareil l'aprem. 

- C'est... c'est une excellente idée, Murphy, dis-je sans vraiment comprendre où il veut en venir. Apprendre de ses erreurs, et tout. C'est super.

- Ouais, c'est ce que je me suis dit aussi, enfin bref. Le truc qui me travaillait ce matin, c'était que... euh, je suppose que tu as entendu parler de la soirée vendredi prochain, HEAUME-COMING machin? Bon alors je sais très bien que ce genre de trucs c'est pas vraiment mon style, mais je me suis dit que tu voudras peut-être y aller avec tes copines et tout, et du coup je me suis dit que... je sais pas, que j'allais t'inviter, comme ça tu pourras aller à la soirée. Non pas que tu puisses pas y aller sans moi ou quoi - désolé, je raconte vraiment de la merde, là - mais... bref, tu vois ce que je veux dire. J'espère que t'as pas acheté de billet encore, parce que j'en ai direct acheté deux - si tu en as déjà un pas grave, je le revendrai à quelqu'un d'autre ou je sais pas. Je sais pas, oui. Enfin bref, du coup si jamais...

- Bien sûr, Murphy, dis-je en l'interrompant. Oui, on peut y aller ensemble, si tu veux. On pourra même prendre des photos devant les fonds verts, si tu veux. 

- N'abusons pas des bonnes choses, répond-il visiblement soulagé. Ouf. Désolé, c'était probablement la pire invitation du monde, mais... Bref, j'arrête de parler.

   Je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel en souriant.

- Oui, arrête de parler. Allez, va à ton cours d'histoire, maintenant que tu as l'esprit libre.

- Tu parles, murmure-t-il en s'éloignant.

John Murphy » The 100 AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant