Evolution

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- Tu ne vas pas me raconter grand-chose, si?

- Je ne vais rien te raconter du tout, Helga.

   Clair, net et précis. Me voilà fixée. Soit. Je ne m'attendais pas à ce qu'il me déballe une biographie en huit tomes sur son parcours de vie, mais je n'aurai rien eu contre quelques petites informations. Histoire que je ne sois pas à côté de la plaque, pour une fois. Malgré tout, je hoche de la tête. S'il y a bien une chose que j'ai ai apprise au cours de ces dernières semaines (en dehors de la structure chimique d'un atome de monoxyde de carbone, bien évidemment), c'est que quand Murphy dit non, c'est non. Pas «non pas aujourd'hui mais demain peut-être» ou «non mais si tu insistes un peu, je risque de craquer». Non, c'est non.

   C'est vrai que dit comme ça, on dirait qu'il est tombé dans une soupe de mélodrame quand il était petit, mais en réalité, j'ai bien remarqué qu'on faisait des progrès. Evidemment, notre sortie chez les moutons (son initiative, pas la mienne) est le constat d'un rapprochement indéniable, mais je parle plutôt des petits détails du quotidien. Quand nous nous croisons dans les couloirs et qu'il me fait un signe de tête. Quand il me lance une remarque un peu trop cynique et qu'il vérifie du coin de l'œil si je ne me vexe pas. Les quelques fois où il m'a appelée par mon vrai prénom. Ce sont des choses anodines pour la plupart des gens, mais Murphy n'est pas comme la plupart des gens.

- Tu es fâchée, Helga?

   Sa voix me tire de mes pensées et il me faut quelques secondes pour reprendre mes esprits.

- Bien sûr que non, pourquoi est-ce que je serai fâchée? dis-je finalement.

   Un sourire amer se dessine sur son visage.

- C'est vrai, pourquoi est-ce que tu serais fâchée? Pourquoi est-ce que Helga serait fâchée, après tout? Est-ce qu'elle sait au moins être en colère?

- Tu penses que je suis fâchée à cause de ce qu'ont dit Bellamy et Clarke.

   Ma question ne sonne pas comme telle et le ton ferme de ma voix me surprend moi-même.

- Clarke n'a pas dit grand-chose pour une fois, je pense que j'ai dût la juger à tort dans le passé (il semble plongée dans ses pensées). Non, je parle de Bellamy.

- Evidemment que tu parles de Bellamy! A t'entendre, c'est lui la source de tous les problèmes de l'univers et quand c'est lui qui parle, on a l'impression que tu as été collabo pendant la seconde guerre mondiale! Tout ça commence à devenir ridicule et c'est fatiguant de devoir faire attention à ce que vous ne vous entre-tuez pas dès que j'ai le dos tourné.

- Helga, la nouvelle Mère Teresa en liste pour le prochain Prix Nobel de la paix, c'est ça?

   Il soutient mon regard et attend visiblement de voir ma réaction.

- Ne crois pas que c'est une bonne idée de me chercher, John, je rétorque finalement à voix basse.

   J'ai essayé de mettre le plus de sarcasme possible dans cette phrase. Cela l'a visiblement surpris. Nous nous fixons pendant quelques instants. Je me maudis intérieurement : qu'est-ce qui m'a pris de dire une chose pareille? Qu'est-ce qui m'a pris de l'appeler John? Et surtout, depuis quand je sais hausser le ton à ce point là et de dire ce genre de choses? C'est moi la plus ridicule dans tout ça. J'ai l'impression de sortir tout droit d'une mauvaise comédie familiale dramatique mexicaine des années 80. Je ferme à moitié les yeux, prête à me prendre une vague de remarques cynique sur mon comportement ridicule. Mais contre toute attente, il se met à rire. Un vrai rire. Je ne sais pas trop pourquoi, mais je me joins à lui.

- Je crois qu'il vaut mieux que tu me laisses faire le méchant, Ava. Ça ne te réussit pas du tout.

- Oui, je crois que je n'ai pas les qualités demandées pour ce poste. Je ne vais plus essayer de te faire de l'ombre, promis.

   L'ironie de mes mots plane dans l'air pendant quelques secondes. L'ironie. Voilà ce que je sais manipuler. Ça m'apprendra à essayer de jouer dans la cour des grands.

   Bien qu'il n'ait pas l'air contrarié - au contraire, il me fait penser au Murphy que j'avais rencontré sur la colline aux moutons - je décide de mettre les choses au clair.

- Je n'aurais pas dût t'appeler Jo... Je n'aurais pas dût t'appeler par ton prénom. Désolée.

- C'est un prénom. C'est un peu le principe de la chose.

   Bien qu'il essaye de dédramatiser, je distingue une pointe d'amertume dans son attitude. Rien qui me serait destinée à moi, sinon j'aurai eu droit à un de ces regards tueurs, mais plutôt une certaine mélancolie amère.

- Dans tous les cas, Murphy te va parfaitement. Je vais rester à ça le temps de te trouver un petit surnom à la Helga.

   Ses épaules se détendent. Je décide de poursuivre dans ma lancée.

- Et étant donné que tu sembles vraiment apprécier Helga, je me suis dit qu'on pourrait te trouver un petit prénom tout mignon de chez moi, du genre Björn ou Sven...

- Ne te donne pas trop de peine, je pense que je vais survivre si je reste ton Murphy.

- Mais le truc, c'est que tu es un peu le Murphy de tout le monde (devant son regard perplexe, je poursuis: ) Tu sais ce que je veux dire. Donc la question est plutôt: est-ce que tu vas survivre encore un peu si je t'appelle Murphy?

- Je vais survivre, ne t'inquiète pas pour moi.

- Oh, je n'en doute pas un instant.

John Murphy » The 100 AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant