Noix de coco

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- Je suis au bout de ma vie. Au bout. Au bout. Plutôt «au fond» qu'«à fond». A quel moment. Ava. Tu t'es dit. Que c'était. Une bonne idée. 

- Pense à l'argent, pense à l'argent..., je dis en me débattant avec les manches de mon anorak jaune que je suis en train d'enfiler. Allez, tu ne t'en es pas si mal sorti que ça...

   J'essaye d'avoir l'air innocente, mais, même si cela me donne un peu mauvaise conscience, je ne peux m'empêcher de sourire.

   En arrivant au restaurant ce matin pour notre première journée de travail, Joan m'a chargée  de montrer le fonctionnement du nettoyage de la vaisselle.

   Bien évidemment, j'ai passé la moitié du temps à avertir Murphy que, lors de l'ouverture de la porte du lave-vaisselle, cette dernière ne s'ouvrait pas à un angle de 90 degrés comme on pouvait s'y attendre, mais plutôt sur du 95, voir du 96, ce qui a comme conséquence le fait que, si l'on n'y fait pas attention et que l'on sort un peu trop le chariot métallique du bas qui contient les assiettes, ce dernier, étant victime de la gravité de notre mère la Terre, glisse et termine son parcours dans un fracas dramatique sur le sol.

   Bien évidemment, cette situation m'est arrivée beaucoup trop de fois par le passé et j'ai donc jugé nécessaire de faire comprendre à mon apprenti l'importance d'un bon maintien du genou de ladite porte pendant qu'on sort les assiettes.

   Bien évidemment, Murphy a plus été amusé par ma démonstration qu'autre chose et bien évidemment, à la seconde où c'était à lui de le faire, c'était quasiment tout le contenu du lave-vaisselle qui s'est écrasé sur le sol. 

- Quatre assiettes, c'est rien. Si tu me demandes mon avis, je pense qu'on doit surtout penser aux douze autres qui sont tombées sur le sol sans se casser parce que là, je ne sais pas comment tu as fait!

   Il me tire la capuche sur la tête tandis que nous sortons du restaurant par la petite porte à l'arrière.

- Et toi, ça a été?

- Tip top, je réponds en ajustant le col de ma veste en marchant. Jusqu'à ce que je renverse une carafe d'eau dans l'assiette d'une cliente, mais à part ça, je crois que j'ai fait du bon boulot.

- Je n'en doute pas. Tu aurais pu dire à la dame que c'était une soupe. Genre une soupe à l'eau froide et au poisson ou... Bref, tu vois ce que je veux dire.

- Oui, complètement. Un truc marrant pour impressionner la galerie, comme d'habitude.

   Il soupire dramatiquement tandis qu'un sourire en coin se dessine sur son visage fatigué. Il a vraiment l'air au bout de sa vie.

- Tu es encore plus lourde que les bacs à glace quand tu t'y mets, tu sais ça? Et crois-moi quand je te dis qu'ils sont lourds, ceux-là.

   Lorsque nous arrivons à la maison quelques minutes plus tard, un post-it laissé par mon père trône sur le comptoir de la cuisine.

- Il reste des lasagnes à réchauffer au frigo. Tu en veux combien? je demande en les cherchant. Ça me parait beaucoup de tout faire, on peut peut-être faire un tiers chacun et Maureen pourra manger le reste après... Murphy?

   Je me retourne et le vois installé à la table, la tête posée sur les bras. 

- Je n'ai pas trop faim, marmonne-t-il finalement. Tu te rends compte que je suis à un stade dans ma vie où je suis trop fatigué pour manger. Si on m'avait dit ça un jour...

   Je ne peux m'empêcher de sourire et remets le plat de lasagnes dans le frigo avant de me diriger vers un placard. Lorsque j'ouvre ce dernier, j'ai l'impression qu'un lampadaire m'est tombé dessus. Ou plutôt, que j'étais en train de marcher et que je me suis prise un lampadaire. Quelque chose du style.

John Murphy » The 100 AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant