Atelier tricot

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- Bon, ce n'est pas tout mais il faut que j'aille voir Murphy.

   Je me lève et m'apprête à prendre mon plateau de repas avec moi en essayant d'éviter les regards accusateurs de Clarke, Jasper et Bellamy. Ces derniers avaient, malgré mes protestations, réussi à m'entraîner dans la cantine pour que je dîne avec eux.

- Très drôle, Ava, commence Jasper. Et tu comptes lui dire quoi, au juste? Salut Murphy, j'ai eu un message anonyme disant que c'était toi qui avait tué tes parents mais ne t'en fais pas, je ne vais pas annuler notre atelier tricot pour autant.

- Atelier tricot? je demande, perplexe.

- Avec Monty, on essaye de vous trouver des passions communes, explique Jasper. Vous faites des ateliers tricots, alors? Dis oui, Ava, ça me permettrait de gagner trois points puisqu'un atelier tricot fait partie de la colonne des activités plus qu'invraisemblables, même si le tricotage en soi n'est pas un mot si invraisemblable que ça, je veux dire tout le monde sait ce que c'est, non? Mais je vais pas me plaindre, ça me ferait quand-même trois points, et depuis que Monty a explosé les scores en réussissant à faire passer «aller en cours» comme une passion commune - 

- Juste - tais-toi, Jasper, l'interrompt Bellamy. Mais il a raison, Ava. Tu peux pas juste venir comme si de rien n'était et lui parler de ses parents, et je dis ça pour ton bien, pas pour le sien.

   Je soupire et me rassieds à ma place, en bout de table. 

- D'après vous, je suis censée faire comme si de rien n'était et continuer à faire des ateliers tricot avec lui jusqu'à la fin des temps?

- Donc vous faites bien des ateliers tricot! s'exclame Jasper comme si je venais lui annoncer qu'il venait de gagner au loto.

- Oui, ils font des ateliers tricot, c'est leur passion dans la vie, me coupe Bellamy avant que j'ai le temps de dire quoi que ce soit. Quand à toi, dit-il en se retournant pour me faire face, tu ne peux pas juste...

   Mais avant qu'il ait le temps de terminer sa phrase, je suis déjà en train de traverser la cantine à grandes enjambées, mon plateau en équilibre sur une main tandis que j'essaye d'enfiler ma veste de l'autre. Lorsque je juge la distance que j'ai parcourue suffisante, je me retourne et vois Bellamy debout, les poings posés au bord de la table et l'air pas content du tout. Je sais qu'il ne le verra pas, mais je ne peux m'empêcher de lui adresser un sourire désolé.

* * *

   Trouver Murphy est un fait qui s'avère souvent plus compliqué qu'il n'y parait, surtout quand ce dernier n'a pas envie d'être trouvé. C'est pour ça que je suis très surprise de voir la porte de sa chambre s'ouvrir, à peine quelques instants après avoir toqué. Il porte un jogging, un sweat à capuche trop grand et paraît à peu près aussi étonné que moi.

- Ava? Un problème?, dit-il finalement en me faisant de la place pour que je puisse entrer.

- Non, je... Je ne m'attendais pas à ce que tu sois dans ta chambre, c'est tout.

   Je passe à côté de lui et je l'entends refermer la porte derrière moi.

- Justement, c'est ma chambre...

- Oui... C'est juste que je pensais pas que tu étais le genre de personne qui...

- Qui a une chambre? termina-t-il à ma place en souriant. Tu croyais que je dormais dans les champs, peut-être?

   Non, je lui réponds mentalement, je ne pensais pas que tu étais le genre de personne qui avait une chambre qui ressemblait à ça. Trois des quatre murs sont ornés de grandes cartes, l'une d'entre elles est tellement jaunie qu'elle paraît sortie du siècle dernier. Elles sont toutes annotées et je repère même plusieurs post-its collés ici et là. Sur ce qui doit être une table de chevet se trouve non pas un réveil ou une pile de livres, mais un globe terrestre. Et pas un de ces petits trucs pédagogiques en plastique, non, un énorme globe dont les couleurs ont été mangés par le temps. Je ne peux m'empêcher de faire quelques pas dans sa direction et de le faire doucement tourner sur son axe.

- Je savais pas que tu étais si bien calé en géographie, dis-je finalement.

- C'est rien, répond-il en balayant mon commentaire d'un mouvement de tête, mais je perçois malgré tout une certaine lueur de fierté dans son regard. Bon, qu'est-ce qui t'amène ici?

- Oh. Oui. C'est une très bonne question.

   Il se tient devant moi, les mains dans les poches, un petit sourire illuminant le coin de sa bouche. Pour des conditions Murphyesques, je me rends bien compte que c'est très beaucoup et je culpabilise déjà pour ce que je n'ai même pas encore dit.

- Ou peut-être que tu es juste venue parce que tu apprécies tellement ma présence que c'était insupportable pour toi de tenir une minute de plus sans moi.

   Je comprends immédiatement qu'il sait que je ne lui ai pas tout dit - je ne lui ai même rien dit du tout, d'ailleurs -, mais je ne peux m'empêcher de prendre la perche qu'il me tend.

- Tu m'ôtes les mots de la bouche, je réponds sans pouvoir m'empêcher de rigoler. 

- Pas besoin d'avoir honte, il y a plein de personnes qui sont dans le même cas que toi.

   Il se laisse tomber sur son lit et me fait signe de faire de même, mais je préfère m'installer en tailleurs sur la chaise de bureau. Je n'ai pas envie de paraître envahissante ou quoi que ce soit.

- Je sens mauvais, c'est ça? Pourtant, j'ai changé les draps avant-hier!

   Pour illustrer ses propos, il prend un coussin qu'il me jette en plein dans la figure.

- Aïe! je m'exclame théâtralement. Tu aurais pu me casser le nez!

   Je m'apprête à prendre le coussin pour lui rendre la pareille, mais interromps mon geste au dernier moment pour finalement le poser sur mes jambes et me blottir autour. C'est seulement lorsque j'intercepte le regard moqueur de Murphy que je réalise l'ambiguïté de mon geste.

- Non non non, dis-je en essayant de me défendre, c'est juste qu'il fait un peu froid ici...

- Oh mais je ne te juge pas, Ava. Il y a plein de filles qui aiment dormir dans le t-shirt de leur copain, alors toi et toi et ton coussin... Si tu veux, je peux te donner la version réelle, dit-il en se redressant et en écartant les bras.

- Merci, mais non. Celui-là a l'avantage de savoir se taire au bon moment, dis-je en désignant le coussin. (Le regard de Murphy se fait insistant et il a toujours les bras grands ouverts.) Merci, mais non. (Il ne bouge pas.) Non. (Toujours rien.) N-o-n.

- S'il te plaît?

   Sa voix semble se briser sur des millions de petits éclats de verre, un son que je n'entends pas pour la première fois. Je soupire théâtralement et me lève, le coussin toujours collé contre moi et me laisse tomber sur le lit à côté de lui. Je n'ai même pas fini de m'installer correctement en tailleurs qu'il a déjà passé un bras autour de mes épaules. Lorsque je le questionne avec un regard un peu taquin, il détourne la tête et je ne peux pas m'empêcher de sourire en voyant que pour une fois, ce n'est pas moi qui suis en train de rougir.



John Murphy » The 100 AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant