Suite du chapitre deux

2 0 0
                                    

Ils délaissèrent l'ascenseur qui risquerait de réveiller les parents et dévalèrent les marches bleues de l'interminable escalier.

Au rez-de-chaussée, en face des cuisines, ils s'arrêtèrent dans l'ombre d'une tenture à dominante mauve qui représentait une scène de combats avec les Miobés.

– Tu te souviens du mécanisme ? chuchota Comor.

Mori opina. Ils avaient cessé leurs jeux secrets depuis près de cent jours, pourtant il n'avait rien oublié.

L'héritier croisa les mains devant lui. Son frère y plaça le pied droit et se laissa soulever.

– Dépêche, souffla-t-il d'une voix tremblante d'effort et d'anxiété.

Mori étira son corps pour atteindre un bouton dissimulé entre deux pierres. Il appuya dessus et, derrière la tenture, une porte minuscule s'entrebâilla.

– Vas-y, ordonna Comor en pliant les genoux pour faciliter sa descente. Je t'attends à la sortie avec un ossrak.

Puis brutalement, il le saisit par le revers de son manteau. Animé du fol espoir de le voir renoncer à ce projet insensé, il l'obligea à lui faire face.

– T'as peur ?

– Non, marmonna l'enfant en se dégageant doucement. Mais toi, si. À cause de ton père ?

– Pour ta vie, petit frère. Fais attention, s'il te plaît.

– Des milliers de gens sont en danger et je peux faire quelque chose. Je suis le promis.

Il se glissa dans l'ouverture et repoussa la porte derrière lui. Sa fermeture provoqua l'allumage des veilleuses et il put entamer la descente.

D'après les lectures d'Axiam, cette voie souterraine avait été conçue pour prendre les Miobés à revers. Vingt-trois ans plus tard, un autre tunnel s'y était greffé. Il débouchait à l'extrémité sud du territoire du château, dans la cave d'une ferme. Celui-là servait pour l'acheminement des vivres.

Il passa l'embranchement, courut encore pendant longtemps puis se retrouva devant un mur de bois. Le mécanisme d'ouverture ! Il jura. Dans la précipitation, Comor avait oublié de l'instruire à ce sujet, et lui de poser la question. Il ferma les yeux afin de mieux se concentrer et tâta lentement les côtés de cette porte visiblement scellée sur un tronc. Enfin, il trouva la manette et s'extirpa d'entre les racines d'un arbre millénaire.

Un chemin discret le contournait, le phare de l'ossrak monoplace en éclairait les méandres pétillants de glace.

La bulle de protection s'effaça et Comor sauta au sol.

– Tu savais qu'il s'ouvrait ici ? s'étonna Mori.

– Bien sûr. J'ai parcouru le tunnel jusqu'au bout deux ou trois fois depuis le début de la guerre. Ce sentier mène à la porte de l'Est, le hangar se trouve à côté et personne ne surveille les environs.

Mori enfourcha le monoplace et attira les commandes à lui par la seule force de sa pensée. Il comprit immédiatement le fonctionnement de l'engin, comme s'il l'avait déjà conduit puis il regarda son grand frère déglutir avec appréhension. Quand le roi apprendrait sa fuite, il passerait un sale moment. Son cœur se serra, car il l'aimait. Seulement, il ne pouvait plus reculer. Alors, il se jura d'avouer ses fautes dès son retour et d'accepter la sanction sans rechigner.

– Bon courage, dirent-ils en même temps.

Ils se sourirent et Mori baissa la vitre avant de pleurer.

***

L'enfant survola le territoire du palais dans le noir. Il ne vit pas non plus le paysage boisé du pays des brumes. Après ce no man's land venaient les terres torturées par le froid sur lesquelles Araya avait construit son temple. Axiam s'y retirait en hiver pour veiller sur les âmes en peine. Mori ferma les yeux et caressa son rêve tourmenté. Nuit agitée pour le grand-mage.

Comme pour moi, pensa l'enfant en filant vers les montagnes.

Elles formaient une chaîne épaisse de pics immenses, de gouffres profonds d'où émanait une intense odeur de métal.

Heureusement, au petit matin, Zaïa éclaira les sommets de cet espace dangereux. Soudain, l'ossrak se cabra, Mori volait trop bas. Il rassembla ses forces spirituelles pour contrer les effets néfastes des gaz magnétiques qui s'échappaient des abîmes, mais tarda et les moteurs calèrent. L'effroi transperça son cœur. L'appareil plana pendant une éternité d'angoisse. L'enfant s'obligea au calme. L'intense concentration effaça la peur et sa pensée provoqua l'étincelle qui relança enfin les réacteurs.

Mori soupira de soulagement et contempla l'incendie des couleurs. Les tons de la roche changeaient selon sa nature. Là, le bleu luttait contre les reflets orangés que tentait d'imposer Zaïa. Cet autre pic avalait ses lueurs et lui renvoyait un vert pâle. Il plongea le regard dans les précipices tandis qu'il slalomait lentement entre deux aiguilles aussi lisses que noires. Son œil voyait dans la nuit, pourtant il ne perça pas celle-là. Trop profonde.

***

GahilaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant