Deuxième suite du chapitre 2

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Quand Mori sortit de ce labyrinthe rocheux, Zaïa semblait écraser une mer de granit plat qu'il survola pendant un long moment malgré la vitesse de l'ossrak. Enivré par l'espace, le promis avait poussé les manettes à fond.

Enfin, la forêt cassa la ligne d'horizon et arriva sur lui rapidement. Il ralentit, car il savait qu'il allait passer au-dessus des terres miobées et il voulait prendre le temps d'observer ce domaine classé réserve naturelle. Cette ethnie vivait toujours dans des terriers comme leurs ancêtres et, depuis des générations, les grand-mages veillaient sur cette zone interdite.

À travers les branches dénudées par l'hiver, il perçut la course de ces petits carnassiers qui n'avaient pas évolué. La vague noire et ondulante filait vers les bruits de la guerre.

Ils ont faim, songea-t-il en frissonnant d'horreur.

Il se posa non loin de la centrale principale au moment où Zaïa laissait place aux premiers rayons du soleil couchant. Noliam s'était retranché là, il le sentait. Les sifflements des canons laser lui parvenaient, le front avait avancé. Il ferma les yeux et assista aux combats, mais bizarrement, son esprit ne se retrouva pas au milieu de la bataille. Il voyait comme s'il suivait l'action sur un écran, tout simplement. Les affrontements n'avaient pas faibli pourtant, et lui se trouvait si près ! Mori crut que sa décision avait calmé sa folie. Il inspira longuement et savoura sa liberté.

La grande bâtisse formait un cube aux proportions parfaites, sans fenêtres. Ce bunker protégeait la foreuse entre des murs épais et verts pour s'harmoniser avec les couleurs de la prairie environnante. Une seule issue, non gardée, Noliam s'imaginait sûrement que personne ne songerait à le chercher en ces lieux. Il posa la main sur la plaque magnétique située à droite de l'entrée blindée et vida son esprit de ses inquiétudes.

Enfin elle vibra. Il pénétra en silence dans le sas, la referma doucement derrière lui et ouvrit la seconde sur un corridor. En avançant, il lut les noms des portes. Salle des machines, cafétéria, entretien... Poste de contrôle. Il passa devant sur la pointe des pieds puis comprit qu'il était désert. Un soupir de soulagement lui échappa et il continua son chemin normalement. Le couloir aboutissait à une grande rotonde inondée de lumière bleue. Au centre, la boule d'extraction dépassait d'un tiers du plancher métallique. Elle distillait un halo rouge sur les consoles aux écrans saturés de chiffres qui la cernaient.

Et il vit le mage jaya, cet homme brun au visage envahi de poils blancs épars, comme piqués au hasard sur les joues et le menton. Assis devant un ordinateur, il pianotait à toute vitesse en grommelant.

Mori avança un peu pour attirer son attention.

– Ah te voilà ! s'exclama Noliam. Approche, n'aie pas peur, je t'attendais.

Soudain intimidé par le regard perçant, Mori n'osa que deux pas. Il tenta de pénétrer ses pensées, mais Axiam n'avait pas encore commencé les exercices à ce sujet, alors Noliam lui resta hermétique.

– J'ai perdu l'estime des miens, reprit-il. La tienne aussi, je le vois bien. Je me suis laissé entraîner dans les désirs de Bahass sans m'en rendre compte, tu peux comprendre ça ? Aujourd'hui, mon âme est tiraillée... Savais-tu que cette technologie tue Gahila à petit feu ?

Mori opina.

– Tu connais l'Asham précédent ? Le dernier qui a fusionné avec Araya ?

Il marqua une pause pour observer l'enfant qui gardait un visage impassible.

– Oui, tu sais, sourit Noliam. Axiam s'occupe de ton instruction, je gage. Bon, Bahass a mangé l'esprit de Taligah. Il était devenu fou, tu comprends ? Bahass a créé ce monde de luxe dans lequel tu vis. Elle m'a égaré aussi.

Un bip quasi inaudible l'interrompit. Il se remit à pianoter sur le clavier tout en dévorant l'écran des yeux. Cela faisait « tiptiptip » à un rythme endiablé.

Sur ceux qui lui faisaient face, Mori remarqua l'arrêt des défilements rapides de signes et de chiffres. Ils devinrent rouges.

– Pourquoi Araya a-t-elle abandonné Taligah ?

– Pour se sauver elle-même, répondit le mage sans s'interrompre. Bahass a emmené l'âme de Taligah en son essence. Ce fut bref parce que périlleux, son corps aurait pu mourir et elle aussi voulait goûter à la vie physique.

Il lâcha les touches et le regarda.

– Araya a sacrifié Taligah pour préserver Gahila. Elle ne peut combattre son ennemie directement, elle ne peut entrer en elle... Je dois me racheter. Pour me pardonner, elle me somme de cesser les forages, j'exécute les dernières formalités en ce moment. Quant à Bahass, elle m'a ordonné de te tuer, elle monnaye ainsi la liberté de mon âme et je vais obéir également, mais pas pour cette raison.

– Pourquoi dans ce cas ? murmura l'enfant qui voulait vivre.

– Lorsque j'aurai tout arrêté, les lumières s'éteindront, ainsi que le chauffage et la climatisation. Les ossraks et les cargos ne voleront plus. Sans la magie de Bahass, les mortels ne pourront reconstruire et, dans leur détresse, ils se souviendront des anciennes croyances. Ils se tourneront vers toi, l'envoyé d'Araya. Ils te prieront d'utiliser tes dons pour leur confort et tu pourras toujours leur expliquer que cette foreuse affaiblit Gahila... Tu parleras en vain. Je veux t'épargner de leur folie future.

Et il appuya sur « entrée ».


GahilaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant