Fin du chapitre 6 : Salia

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La petite maison s'était remplie quand elle entra. Onohoue et Sybal, les sœurs de sa mère, vidèrent le chariot de son contenu. Lina l'invita à s'asseoir à ses côtés, sur le banc de bois poussé contre le mur. Les grand-tantes, Asha et Maya s'y trouvaient déjà. Elles s'écartèrent pour lui laisser une place.

Onohoue perça le premier baril et versa le liquide ambré dans les godets de métal que Sybal et Toïa posèrent sur la table.

Les six femmes se ressemblaient comme autant de gouttes d'eau, toutes Sharzac/Arzac, aux petits pieds et crinières fines, sombres comme la nuit. Menues comme les aimaient les hommes qui fréquentaient le Catar et le visage mangé par de grands yeux d'un noir pénétrant. Salia voyait en elles les étapes de sa vie. Elle deviendrait mince et élancée comme sa mère et ses tantes, puis les mêmes rides que Lina et ses sœurs creuseraient ses traits à l'identique. Cette particularité physique résultait d'un projet obscur de Taligah. Comme cette autre singularité soulignée par Lina qui l'éduquait, aidée parfois d'Asha et Maya : trois femmes, une seule capable d'enfanter trois fois et uniquement des filles. (Sa mère avait tué deux nouveau-nés mutants après elle). L'explication s'était perdue dans le temps. Taligah était mort depuis plus de mille cinq cents ans maintenant et les vivants ne possédaient pas une grande mémoire. « Nous retrouverons ce savoir avec le livre », disait Lina, confiante. Le livre sacré, la Force, détruit par le mage des mages sitôt Taligah enterré. Yélina, leur aïeule, n'avait pu en sauver que la page jaunie qu'elles se transmettaient de mère en fille, seul héritage d'un passé de luxe et de plaisirs.

– Taligah nous a parlé, déclara Lina.

Cette petite phrase la tira brutalement de ses pensées. Elle regarda les tantes s'installer sur le banc d'en face et lever leur verre pour saluer cette nouvelle.

– Pourquoi j'ai pas rêvé, moi ? demanda-t-elle vexée. Je fais aussi partie de sa lignée, pourtant.

– Tu es visée... Vois par toi-même.

Elle déplia l'antique toile brune et l'étala sur la table. Salia se pencha vers elle.

– Mon nom y est inscrit.

– Bahass reviendra de l'oubli avec toi. Ce message l'annonce. Taligah t'instruira.

– Je ne me sens pas prête, répondit-elle d'une voix si claire qu'elle s'en étonna elle-même.

Surprise, Lina porta les mains à son cœur. Salia, qui éprouvait beaucoup de respect pour sa grand-mère, reprit plus doucement.

– Taligah a procréé pour son plaisir. Il compte faire de moi sa catin spirituelle ?

– Yélina, sa dernière concubine, savait à quoi elle s'engageait en acceptant cet envoûtement.

– Et sa fille ? A-t-elle choisi de se retrouver dans son lit ?

Cette partie de son apprentissage l'avait toujours intriguée, car aucune de ses aïeules ne s'était étendue sur les états d'âme de l'enfant offerte à l'Asham comme un objet sexuel.

– N'étais-tu pas prête à rejoindre le Catar et ses plaisirs payés ? riposta Asha. Enfin, l'argent c'est pour toi et la jouissance pour les hommes en manque de femmes.

Salia resta muette de stupéfaction. Jamais elle n'avait vu le travail au Catar sous cet angle là. Pour elle, seule la gloire d'intégrer le spectacle comptait. Jusqu'à aujourd'hui.

– Taligah t'offrira plus que des gahls, assura Lina.

Les flèches du palais s'imposèrent à son esprit, encore plus mystérieuses, plus attirantes que jamais.

GahilaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant