Chapitre 12 : Evasion (2)

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La lourde grille du plafond coulissa de nouveau le lendemain. Comme d'habitude, les anciens étaient au rendez-vous, ils dépendaient totalement du panier.

Ils avaient observé le miraculé avec surprise puis posé des questions, mais Thora n'avait pas pris la peine de leur répondre et le grincement les réduisit au silence. Les yeux fermés à la poussière, les affamés écoutèrent le son immonde de la chaîne trop graissée puis le « poc » sur le roc.

Le vieux Cog esquissa un pas vers la nacelle.

– Coucou ! explosa Lester en surgissant par-dessus bord, arc au poing.

Cog inspira bruyamment de peur et ça fit rire le jeune homme. La tête blonde d'Aarlan apparut derrière lui. D'un geste bref, il invita ses amis à le rejoindre. Les cinq garçons se précipitèrent et Arzi tenta une avancée.

Lester le pointa aussitôt.

– T'es pas prévu dans nos plans, railla-t-il.

– On peut encore servir, tu sais ?

Aarlan émit un long sifflement qui déclencha la montée.

– S'il vous plait ! implora Arzy.

– Si vous ne dites rien, vous aurez droit à neuf rations au lieu de quatre, ricana Lester. La vie de château, les gars.

Et il éclata de rire.

– Pourquoi utilisent-ils un si grand panier pour descendre neuf boîtes ? s'étonna Aarlan en sautant au sol.

Thora examina cette pièce inconnue puis regarda sa mère.

– C'est l'arrière-salle de la cantine, expliqua-t-elle. Faites silence, nos têtes sont mises à prix depuis hier. Nous sommes bannis de ce territoire.

Adossés à un fût de saril, deux gardes dormaient profondément. Le garçon leur jeta un coup d'œil rapide avant de pousser doucement le battant qui lui cachait le réfectoire aux longues tables brunes. Vidé de ses bruyants convives, il paraissait sinistre, comme habité par les fantômes du passé. Devant lui, il reconnut l'escalier qui donnait sur l'extérieur. Thora savait qu'à sa droite, au bout du bar, la porte bleue le mènerait à un petit couloir puis aux cuisines.

Salia la dédaigna.

– On sort par là.

Et elle remonta l'allée centrale.

Le soir Zaïa étendait ses couleurs étranges et une tempête balayait la surface de Gahila. Lester ouvrit un battant et le vent s'engouffra dans la pièce.

Salia se courba et s'élança au-dehors. Malmenée par les bourrasques, sa longue tunique noire claqua comme une voile.

– Je conduis l'attelage, déclara Lester.

Et il se lança à son tour dans cette myriade de particules orangées.

La poussière menait une sarabande infernale, Thora coiffa son capuchon qui s'envola dès qu'il sortit. Hory, Assa, Vaysh et Flay le suivirent.

Quand ils se retrouvèrent sous la toile du chariot, Lester heurta les rênes sur les croupes des geslis qui entamèrent un court trot, rapidement remplacé par le galop.

Après les voies entretenues du territoire du château, le véhicule affronta les rues défoncées de Camara-la-morte. Lester ne les ménageait pas, du fouet et de ses cris, il stimulait les bêtes sans pitié pour ses passagers durement bousculés.

Thora imagina le roi tentant de s'endormir bercé par la folie des éléments. Il réprima une envie de rire. S'il savait !

– On va chez Acol ? hurla-t-il pour se faire entendre.

– J'ai aménagé un logis à Camara, répondit Salia sur le même ton.

Le vent filait entre les maisons. Étranglé par ce dédale de ruelles, il gagnait en vitesse, s'égarait dans les pièces ouvertes à sa rage et tourbillonnait dans les salons. Là, il renversait une table encore debout, plus loin, il emportait une chaise et la traînait sur les pavés au gré de sa folie. Il arrachait les feuilles aux branches, soulevait les tapis poussiéreux et claquait des objets non identifiés sur les obstacles.

Le chariot s'arrêta enfin à une intersection que les évadés ne connaissaient pas.

– Dans l'immeuble ! rugit Salia en sortant la première.

Lester détacha les geslis et les entraîna avec lui dans le grand hall ravagé. Les pas crissèrent sur les débris de verre et d'asphalte. Thora oublia le vent qui hurlait entre deux portes ouvertes à jamais. Intrigué, il observait le plafond en partie éventré qui laissait apparaître un réseau inextricable de fils inutiles depuis des siècles.

Les animaux se réfugièrent d'eux-mêmes dans un coin ignoré des bourrasques et Salia tira un panneau sur de larges marches poussiéreuses.

– Venez.

GahilaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant