Chapitre 9 : Thora

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Chapitre neuf – Thora

Dernier hiver 2773

Les animaux s'étaient enfouis sous terre et les hommes calfeutrés dans les grottes ou les maisons. Une épaisse gangue de glace emprisonnait ce monde. Zaïa cachait totalement le soleil depuis cinq jours et des vents violents ponctués de rafales frappaient les murs du palais arzac. Des glaçons gros comme le poing s'abattaient sur tous les territoires.

Dans les cuisines du château, le sujet central de la discussion ne portait pourtant pas sur la météo, mais sur la naissance imminente d'un enfant à contre sort. Quatre personnes occupaient les lieux en cette aube tourmentée. Le feu, entretenu jour et nuit, léchait une énorme marmite pendue à une ancienne crémaillère. Toutefois, la chaleur n'étouffait pas cette pièce, car un courant d'air froid s'insinuait sous les deux portes fermées en vis-à-vis. Après une volée de marches, l'une donnait sur le large couloir principal tandis que l'autre ouvrait sur un petit corridor qui menait à la salle des banquets et à l'escalier du réfectoire situé en sous-sol.

Le chef cuisinier expliquait à ses compagnons pourquoi le roi ne pouvait engendrer deux fois. Comme s'ils l'ignoraient.

– Alors ? demanda le marmiton. Le grand-mage ? Il va sacrer l'enfant ou pas ?

– Moi je dis que non, déclara la vieille femme sans lever les yeux des caltas qu'elle pelait avec soin.

– Et pourquoi ? s'étonna l'intendant. Si ça se trouve, Araya nous envoie le futur Asham, là.

– L'élu, ajouta le jeune sharzac au regard pétillant d'excitation.

– L'élu de Bahass, ouais, grogna le chef. Sa mère l'incarne à elle seule.

Sur le territoire du château, l'Arc-yal n'avait pas cours, les habitants priaient encore Araya.

– Pourquoi tu dis ça ? On ne la voit jamais ! Tu ne peux pas prétendre la connaître !

Il se planta devant l'intendant : un Arzac long et maigre, continuellement plongé dans ses chiffres. Une manie qui ne lui laissait pas le temps de travailler ses muscles.

– Je monte, moi, monsieur. Et je l'entends psalmodier dans le langage Premier. Ça me fait froid dans le dos, j'vous l'garantis.

– Parce que tu comprends cette langue, toi ! osa-t-il rétorquer malgré la peur que lui inspirait cet athlète.

– Non, mais j'en connais les intonations. C'est du Premier inversé, je précise. N'oublie pas que j'ai travaillé au temple pendant douze ans.

– Ça bout, informa l'ancienne.

Une odeur de légume mêlé à la viande épicée emplissait la pièce depuis un moment. Forte de l'expérience de toute une vie, la vieille femme sentait que quelques instants encore de cuisson changeraient ce parfum délicieux en torture olfactive. Il fallait agir maintenant.

– Que vont dire les autres s'il ne le sacre pas ? demanda l'apprenti.

– Ils penseront ce qu'ils voudront, grommela son supérieur d'une voix hachée par l'effort.

La marmite pesait lourd, même pour cette montagne de muscles. Il la posa sur le sol de pierres polies par les milliers de pas qui le foulaient depuis la nuit des temps, puis reprit.

– Axiam fera ce que bon lui semble. Il n'est pas le gardien du Pacte pour rien.

À ce moment, la porte s'ouvrit sur la servante de Salia.

– J'ai besoin d'eau, l'enfant arrive !

– Qu'Araya nous vienne en aide, murmura la vieille ense levant.


Caltas : tubercule sucré


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