Chapitre quatre : passent les saisons

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Chapitre quatre – Passent les saisons

Le dégagement toxique provoqué par l'explosion de la centrale envahit les territoires alentour avant de s'élever vers la stratosphère. Puis, malmené par les bourrasques de Zaïa, l'étrange nuage fila vers la mer et les terres arzacs. Là, le vent tomba, et la lourde brume nocive se posa au sol qui l'absorba.

Les informations ne s'affichaient plus sur les téléviseurs, les habitants de Gahila ignoraient donc l'étendue des dégâts. L'expansion du champignon dans le ciel avait attiré beaucoup de spectateurs qui subirent ensuite de terribles séismes. La panique, le chaos, la terreur et la douleur régnèrent durant de nombreux jours.

Sur les territoires namris, zorous, vados et herrien, hommes et femmes retrouvèrent rapidement leur sang-froid. Les survivants des glissements de terrain, des affaissements de maisons, des feux provoqués par des ruptures de canalisation, s'entraidèrent en espérant le rétablissement de l'électricité et l'arrivée des secours.

Azar, mage des Zorous, se rapprocha de son peuple. Et si certains choisirent d'avancer plus avant dans le marais, la majorité se replia sur les villes en ruines et organisa une forme de vie en autarcie.

Les rescapés vados s'installèrent sur les rives du marécage en attendant de pouvoir rejoindre le grand fleuve et reconstruire Sadana, leur capitale.

Revenir aux habitudes ancestrales ne posa aucun problème aux Ailés.

Chez les arzacs, le commerce avait pris tant d'ampleur qu'ils avaient oublié l'art de la chasse. Cette ethnie, devenue résolument moderne, espérait le retour du ravitaillement qui transitait essentiellement depuis le pays herrien, pour les céréales, et namri, pour la viande.

Aucun mage sur ces terres, point de conscience pour leur rappeler l'importance de toute vie afin d'assurer la pérennité de l'espèce en l'absence d'Asham. Ils avaient oublié jusqu'à la signification de ce titre, Araya et Bahass étaient sorties de leur mémoire depuis près de mille ans. Sauf sur le territoire du palais. Dans les jours qui suivirent, les grandes cités montrèrent un visage de fin du monde. Pillages, meurtres perpétrés sous un voile verdâtre, les gens s'entretuaient pour une boite de conserve ou une botte d'asia défraîchie. Ils se barricadaient et défendaient farouchement leur logis. La peur souffla sur les hautes tours et les maisons qui les entouraient, car, depuis la mort de Taligah, hommes et animaux procréaient de moins en moins. Ils s'étaient donc rapprochés inconsciemment les uns des autres.

À Camara, deux ans après la catastrophe, une femme arzac accoucha d'un enfant dépourvu de peau. Il ne survécut que quelques instants, mais la mère ne s'en remit jamais. Ses hurlements de douleur la rendirent folle. Et ce scénario se reproduisit à Padora, Olora et Andar. Le territoire des Arzacs était pollué.

Depuis ce jour fatal, quand un nourrisson naissait sain, une fête s'organisait spontanément dans les rues. S'il était muté, un voisin, un cousin ou un frère se portait volontaire pour abréger ses souffrances. Mais ces apprentis tueurs rataient parfois les euthanasies. Alors, les chefs de quartier formèrent des spécialistes bien rémunérés et, rapidement, ce nouveau métier s'étendit pour répondre à la demande grandissante.

Pendant douze années, rien ne changea. Les infanticides se succédèrent à une cadence telle qu'il semblait aux Arzacs que la vie ne servait qu'à les punir.

Pourtant, un jour d'hiver, une jeune maman accoucha discrètement dans l'un des nombreux creux du tunnel à soughos. Adossé à la paroi, le visage impassible, le père guettait les exécuteurs, car ensemble, ils avaient décidé d'emmener eux-mêmes leur enfant vers la mort. Elle viendrait tendrement, sans feulement de révulsion ou de plaisir comme ça arrivait couramment ces derniers temps.

Lorsque les premiers hoquets parvinrent à ses oreilles, l'homme se retourna. Comme sa femme, il retint son souffle à la vue des muscles apparents parcourus du réseau veineux et observa le nourrisson chercher le sein... en silence.

Cette naissance miraculeuse alimenta les conversations pendant tout l'hiver et, quand au premier jour du soleil les habitants de Camara remontèrent à la surface pour reprendre le cours de leur vie, le père et la mère du petit survivant les suivirent. Mais la peau du bébé brûla et ils durent redescendre pour le soustraire aux radiations.

Ce premier mutant viable subsista tant bien que mal durant dix ans. D'autres parents choisirent de le rejoindre. Uniquement des Sharzacs. Les Arzacs, eux, refusaient l'altération, ils supprimaient ces enfants différents.

Ces mutants vécurent de plus en plus longtemps. Ils s'unirent entre eux et formèrent une nouvelle ethnie. Petits, munis de cinq doigts comme les Herriens, dépourvus de pilosité et incroyablement intelligents, ces êtres de nature paisible se répandirent sous le sol des cités, au grand dam des « sains » qui devaient désormais composer avec eux pendant les grands froids.

Le dégoût généré par cette promiscuité forcée se transforma en haine et les exécuteurs se réunirent en guilde.

Au fil des décennies, une nouvelle religion émergea de leurs écrits et de leurs sermons. Un prêcheur l'intitula « Arc-yal » et ouvrit le premier lieu de culte. Il y prôna l'éradication du mal mutant si bien, qu'il déborda d'adeptes en une saison.

***

Au décès d'Ossoto, Comor, meurtri par la fin tragique de son frère, dut prendre place sur le trône royal. À quarante-trois ans, l'âge de raison pour beaucoup de mortels, Comor accepta d'épouser Assia pour apaiser les tourments d'Axiam. Il aimait cette jeune Sharzac, mais avait longtemps refusé de l'entraîner dans une vie de couple torturée. Cependant, Axiam demandait un héritier, c'était écrit dans le Pacte, disait-il.

À croire qu'Araya veillait sur lui, car Assia mit au monde un garçon trois saisons après les cérémonies.

En 2533 de l'ère Taligah, seulement une femme sur quatre parvenait à procréer.

Comor, rongé par la culpabilité, mourut de chagrin à l'âge de quatre-vingts ans et son fils lui succéda à celui de trente-neuf.

Cinq rois défilèrent sur le trône arzac et restèrent fidèles à Araya. Ils écoutèrent l'enseignement d'Axiam qui traversa les années, les décennies. Les générations.

Pendant toutes ces années, Arc-yal grandit. Et lorsqu'en 2768, Atan remplaça son père, le peuple arzac offrait les corps des mutants à leurs prêcheurs depuis un siècle.

Cette année-là, le grand-mage accusait presque trois cents ans au compteur de sa vie.


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