Chapitre 5 : La naissance de Graam

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Chapitre cinq – La naissance de Graam

Premier hiver 2770

Les rayons du soleil couchant disparurent derrière Zaïa, le court hiver débutait.

Une jeune domestique d'une vingtaine d'années entra dans le salon du roi arzac. Dans la pénombre, un mélange d'ombres et de lueurs orangées dansait sur les meubles de bois sculptés. Les tentures colorées ondulaient légèrement sous le souffle chaud du foyer ou celui plus froid du vent qui s'insinuait entre les interstices des fenêtres.

Elle posa son plateau sur la table basse et massive, un bijou de mobilier habilement façonné.

Depuis qu'elle travaillait pour le roi, elle en avait passé du temps à lustrer cet ouvrage millénaire tout en détaillant les visages miobés ciselés sur les côtés épais de l'essence namrie. Ces faces velues, mangées par de gros yeux aux orbites saillantes, grimaçaient de douleur ou de fureur selon l'intensité de la lumière ou l'angle d'observation.

Elle se détourna et raviva le feu sous les regards des convives qui accompagnaient ses mouvements.

– Je suis heureux que mes ancêtres n'aient pas obturé ces cheminées, lâcha Atan en jetant un coup d'œil aux radiateurs électriques toujours scellés aux murs.

– Détrompe-toi, répondit Axiam. Ossoto a dû faire casser des parois pour les remettre en état.

– Mon père ne m'en a jamais parlé.

– Il avait bien d'autres choses à t'apprendre, mon garçon. Et le temps lui était compté.

– C'est vrai qu'il m'a vu naître sur le tard, accorda le roi.

– Soixante-dix ans, sourit le mage. Un exploit. Et ta pauvre mère...

Morte en couches comme de nombreuses femmes depuis l'explosion de la centrale.

La serveuse quitta une pièce mieux éclairée, les bûches crépitaient joyeusement à présent. Les lueurs jaunes et rouges des flammes mettaient en valeur les tons chauds des épais tapis. Elles faisaient danser les ombres sur le visage d'Axiam confortablement installé dans un fauteuil aux couleurs passées de vert.

Aujourd'hui dans la force de l'âge, il affichait une longue barbe blanchie par l'inquiétude. Il ne l'avait jamais taillée. De même que sa crinière rassemblée dans un nœud de liane zorous.

– Le Pacte s'est-il manifesté ? demanda Atan.

– Tu sais que je ne peux te répondre.

À côté de lui, affalée sur le divan, la petite reine au ventre rond dégustait un lait d'olak directement importé du pays namri.

– Araya a écrit, insista Atan. Sinon tu serais retourné au temple.

– Je reste pour la naissance.

La jeune femme leva le nez de son bol.

– C'est pour bientôt ?

– Oui.

– Mon fils sera-t-il normal ?

– Oui, ton enfant est sain. Comment allez-vous le nommer ?

– Graam. Ça signifie...

– Chance en herrien, je sais, je suis Herrien tout de même.

– Ça fait tant d'années que tu n'as pas mis les pieds chez toi que je me demandais si...

– Mon esprit peut voyager sans mon corps, la coupa-t-il encore.

La tempête secoua les volets clos et coucha les flammes dans l'âtre. Atan servit la liqueur et tendit un verre à Axiam.

– J'aurais aimé des nouvelles d'Araya, dit-il.

– Le temps s'écoule différemment pour elle. Nous devons patienter.

– En regardant les vivants mourir et s'entretuer ?

Axiam le contempla. Atan occupait le trône depuis deux années et l'anxiété creusait déjà son visage. À vingt-deux ans, il en paraissait quarante. La folie qui secouait les cités moribondes l'affectait profondément.

– La milice ne parvient pas à maîtriser la situation, n'est-ce pas ?

– Arc-yal domine les esprits, répondit-il. Les mutants ne sortent plus qu'en cas d'urgence alimentaire. Rien qu'à Camara, la colère et la terreur règnent. Colère au-dessus, terreur en dessous et je ne dispose que de très peu d'hommes pour endiguer cette violence. Je ne sais plus comment gérer ce problème.

À ce moment, le bol vide roula sur le tapis et le temps s'accéléra dans les appartements royaux. Atan se précipita vers sa femme, les accoucheuses herriennes surgirent et la portèrent jusqu'à la chambre voisine.

Axiam ferma la porte au nez d'Atan.

Pour tromper l'angoissante attente, le futur papa se resservit un verre et marcha nerveusement de long en large. L'inquiétude le rongeait. Depuis deux ans, son cœur ne battait que pour sa femme, sa reine. La fille du marchand de vêtements. Son abondante crinière de nuit, ses grands yeux noirs d'une infinie douceur, ses lèvres rouges, son teint presque translucide l'avaient fait chavirer dans l'émerveillement. Il était tombé amoureux de cette fleur délicate, si petite, si... il frappa le panneau.

– Laissez-moi entrer !

La porte s'ouvrit sur son impatience. À grandes enjambées, il pénétra dans la chambre et fila vers le lit.

– La vie fuit son corps, expliqua la plus âgée des sages-femmes.

Atan se tourna vers Axiam.

– Personne ne peut la guérir ? Pas même toi ?

Le grand-mage hocha la tête. Non, il ne pouvait rien contre cette calamité qui accablait beaucoup de mères au moment de l'accouchement. L'utérus se liquéfiait lorsque le placenta perçait et son acidité gagnait les autres organes en un instant. La reine n'avait déjà plus d'entrailles.

Atan s'agenouilla près d'elle. Il lui prit la main, écouta le filet de mots qui s'échappa des lèvres décolorées et comprit : « ton fils accomplira un miracle. Je t'aime. »

Le souffle mourut et il rugit de douleur.

GahilaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant