Chapitre 8 : installation

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Chapitre huit – Installation

Le jour du mariage, mère, grand-mère, tantes et grand-tantes quittèrent Camara pour rejoindre la rotonde du dernier étage de la tour nord. Les fenêtres des chambres ouvraient sur l'arrière de la basse-cour où travaillaient les commerçants et côté salon, les six femmes pouvaient admirer leur ville natale.

Au début, elles passèrent leurs journées à observer les immeubles des anciens. Certains penchaient. Leurs fondations, fragilisées par le temps, s'affaissaient sous le poids des matériaux modernes. Elles étudièrent aussi les quartiers abandonnés aux lays, ces petits rongeurs qui se déplacent en hordes. La terreur des ténèbres.

En rêve, elles revivaient parfois l'effervescence du Catar. Les rires, les cris, les bagarres s'invitaient dans leurs nuits paisibles. Ces matins-là, elles s'éveillaient avec les odeurs du lox ou du lay grillé mêlées aux relents du vomi des poivrots.

Elles ne regrettaient pas les mains qui malaxaient les sexes ni la laitance jaillissant sous les tables ou dans les lits saturés de punaises affamées. Elles ne ressentaient aucune nostalgie et savouraient le repos, l'indolence, les journées passées à manger, dormir et admirer le paysage.

Elles jouissaient pleinement de ces instants, elles croyaient leur paix éternelle.

De temps en temps, elles se prélassaient dans le petit jardin du roi. Pour s'y rendre, elles devaient traverser la place et en chemin, elles croisaient les domestiques, les commerçants, les charpentiers et les éleveurs d'olams et de geslis. Ces travailleurs, toutes ethnies confondues, les évitaient soigneusement. Mais peu leur importait, elles préféraient rester en famille. Et le secret qu'elles partageaient les dissociait de ces gens-là.

La Force, ce secret mutuel, se trouvait à l'abri chez Toïa. Salia venait l'ouvrir chaque jour pour apprendre en ses pages. Le livre magique, scindé en deux parties comme le Pacte, instruisait celui que l'entité avait choisi sur sa première moitié. La seconde était réservée aux prédictions et aux enchantements qui s'effaçaient au fur et à mesure de leur réalisation. Salia s'informait le matin et passait ses après-midi à psalmodier les incantations d'enfantement pour casser le sort Araya qui n'autorisait qu'un fils au roi. Elle cherchait à engendrer une âme Bahass. Peut-être le futur Asham.

***

Après l'explosion de la centrale, les Arzacs avaient réappris à chasser sur les plaines gelées et parvenaient à cultiver l'asia blanc utilisé surtout pour le textile, puisqu'à peine comestible. L'essentiel de la nourriture végétale leur venait des Herriens qui occupaient les trois quarts des marchés ouverts tous les cinquante jours. Au moins, ils ne dépendaient plus des Namris pour les protéines animales.

Chaque printemps, le souverain donnait le ton sur la valeur des marchandises selon l'abondance des récoltes. Atan et Assak, le jeune roi herrien, s'entendaient bien sur les échanges de denrées. Chacun tirait son épingle du jeu en parfaite harmonie.

À cette période, Atan organisait aussi une réunion avec les maîtres des cités pour faire le point sur l'évolution du pays. Or, depuis son mariage, Zaïa passa deux fois devant leur soleil sans qu'il reçoive. Et dès la fin de ce deuxième hiver, les chefs de Camara, Olora et Padora constatèrent des désertions au sein de leur milice. Les soldats rejoignaient l'Arc-yal et leurs prêcheurs virulents, plus actifs que jamais. La situation se dégradait et Atan dépérissait.

Au terme du dernier été de cette année 2773, le premier ministre, grimpa l'infini des marches qui menaient au logis d'Axiam. Ce jeune homme élancé à crinière de feu bravait la menace de Salia qui avait interdit l'accès au sommet de la tour du milieu. Le grand-mage vivait à l'étage au-dessus du sien, donc il se retrouvait isolé du reste du château. D'ailleurs, à part les cuisinières qui livraient les vivres en douce, plus personne ne le voyait, lui et le fils du roi.

GahilaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant