Ils sortirent de la cage d'escalier au premier étage. Le couloir aux peintures craquelées présentait quatre portes dont deux gémissaient sur des gonds pantelants. Le vent s'engouffrait dans ces pièces-là et sifflait sur les lames des vitres brisées.
– Faudra penser à condamner ces issues, marmonna Aarlan.
– Vous allez là, ordonna Salia en leur montrant la première entrée.
Thora n'eut pas le loisir de jeter un coup d'œil à l'intérieur, sa mère le saisit par le bras et continua son chemin.
– Tu les verras plus tard.
Elle ouvrit la deuxième porte et il resta figé sur le seuil. À quel spectacle s'attendait-il en parcourant ce couloir misérable ? Il n'avait pas pris le temps de se l'imaginer et ses représentations mentales auraient été, de toute façon, en deçà de ce qu'il découvrait là. Salia avait reconstitué le luxe du palais dans cette pièce aux dimensions honorables.
– Tu l'as aménagé quand ? demanda-t-il en foulant les tapis herriens qui cachaient le sol.
– Pendant tes cours avec Acol.
Elle retira son manteau et approcha un bureau aussi massif que celui du roi. La Force, livre épais à couverture de cuir noir, trônait sur le plateau de bois acajou.
Les longues baies vitrées attirèrent le regard de Thora. Elles lui offraient une vue imprenable sur le paysage malmené. Puis il se laissa tomber dans un canapé de velours élimé et en apprécia le moelleux après ces deux jours à la dure. En face de lui, au fond de la pièce ; un lit à peine caché par un paravent coloré. Sur sa droite, une baignoire ronde emplie d'eau exhalait une chaude odeur d'écorces.
– J'ai faim.
– Tu mangeras plus tard. Déshabille-toi !
Tunique écrue et pantalon de toile épaisse s'entassèrent sur le divan.
– Tire le tapis du milieu, s'il te plait.
Il roula l'étoffe et comprit pourquoi elle avait recouvert le sol. Le revêtement des anciens se désagrégeait en fines particules grises et légères.
– T'as même pas balayé, ricana-t-il.
– Si, mais ce matériau part en poussière.
– C'est dangereux de vivre ici, non ?
– Ce n'est que temporaire.
Elle se retourna enfin et contempla son fils nu. Son corps, piqueté de minuscules points rouges, enflait déjà par endroits. Les œufs mûrissaient par milliers et elle se demanda comment il tenait encore debout, ces parasites devaient lui pomper toute son énergie.
– Maman, j'ai vraiment faim, gémit-il.
– Je dois d'abord te soigner.
Elle se déchaussa, vint se poster sur le carré découvert et ferma les yeux. Après quelques instants de recueillement, elle entama une litanie en pivotant lentement sur elle-même. Un rayon noir apparut au sol et évolua en cercle à son rythme. Elle tournait en son centre sans respirer entre les mots. Thora comprenait le langage de Bahass. Elle disait : « Suis-moi-serpent-de-la-guérison-sert-moi-serpent-de-la-guérison... ».
Lorsque le disque se ferma, elle lui faisait face à nouveau.
– Viens me remplacer.
Il enjamba la ligne, mit un pied quand elle enleva le sien, puis l'autre et il tint l'anneau de la guérison sous ses orteils nus.
Salia se rapprocha du bureau et la Force tourna sa page.
– Bahass dit : « tu te caches à l'intérieur de toi parce que ton corps va souffrir ».
Thora replia les coins de la réalité sur son esprit. Il le pelotonna dans cette couverture de ténèbres tandis que son mage de mère prononçait les mots. Une incantation qu'il n'entendit pas.
Si le voyageur était entré dans cette pièce à ce moment, il serait resté pétrifié par le spectacle. Des milliers d'étincelles pétillaient sur le corps nu d'un enfant à l'aube de la puberté. Il se serait voilé le nez pour estomper l'odeur de chair brûlée qui émanait des petites fumées. Elles commençaient à le masquer tant elles se multipliaient. L'étranger aurait comparé cette femme à un bourreau. Aucun écart de conduite ne méritait tel châtiment !
Mais Salia laissait les larmes inonder ses joues en silence. Elle redisait seulement l'incantation dès que les crépitements faiblissaient. Concentrée à l'extrême, elle « voyait » chaque œuf, chaque larve se tortiller de douleur avant le trépas.
Le temps s'arrêta sur ces longs instants d'éternité.
Enfin, le corps nettoyé s'effondra et le cercle de la guérison s'évanouit dans le béton. La fumée âcre s'estompa et révéla la chair à vif. Pourtant, englué dans un sommeil proche du coma, Thora ne ressentait rien.
Salia le porta jusqu'au bac d'eau tiède dans lequel elle avait versé un onguent préparé selon les conseils de Bahass. Elle déposa son enfant dans cette solution à forte odeur boisée et lui cala la tête sur le bord à l'aide d'un linge enroulé sur lui-même. Elle lui épongea le visage et le crâne puis s'assit au sol.
***
VOUS LISEZ
Gahila
Science FictionAux confins de l'univers, deux entités se disputent les âmes des mortels. Leur faim insatiable et leurs duels incessants provoquent la destruction des mondes qu'elles enveloppent de leur essence, ce qui les oblige à l'éternel exil. En l'an 2499, sur...