Chapitre 36

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Sophie entendit frapper et se leva lentement, pesant chaque pas jusqu'à la porte et ceux qui se trouvaient derrière. Les deux clans étaient-ils réunis à la porte de sa bibliothèque ? Quoi que sa rancœur envers les amants perdus soit toujours intacte, elle ne pouvait s'empêcher de vouloir faire partie de leur histoire.

Depuis sa découverte, elle avait fait parler d'elle, avait pleuré en romançant son histoire "d'amour" perdu avec Nicolas et son pardon pour ces jeunes amoureux qu'elle avait généreusement hébergé au milieu des livres.  Sa popularité et son goût pour les ragots s'en étaient vus décuplés, au point d'accepter la demande incongrue de Nicolas.

Fermer la bibliothèque n'était pas dans ses attributions, mais elle s'en inquiéterait plus tard : pour le moment le panneau "fermé" occupait la porte et les coups se répétaient contre cette dernière.

- J'arrive, s'agaça-t-elle.

Regretterait-elle ? Non, elle aurait l'exclusivité et saurait en faire bon usage.

L'instant suivant, ils étaient assis autour d'une tables, attendant patiemment le dénouement d'une histoire qui avait commencé 3 mois plus tôt. Richard et Robert manquaient à l'appel et personne ne savait s'il fallait les qualifier de retardataires ou absents.

- Pensez-vous qu'ils viendront ? demanda enfin Sarah.

Sophie la fixa pour la première fois réellement. Qu'avait-elle donc de plus qu'elle ? Certes, Sarah était jolie fille, mais ni plus ni moins que beaucoup d'autres ! Ses cheveux bruns avaient un éclat certain, que l'on retrouvait au fond de son regard, et son sourire ne manquait pas de douceur. Mais son nez était trop fin et ses jambes pas assez longues. Par ailleurs, leur passé aurait dû les séparer, non les mener l'un à l'autre. 

Toute à ses pensées, elle manqua ne pas entendre un nouveau coup, unique et fort, contre la porte d'entrée. Elle se leva doucement, plus par appréhension qu'excitation, et ouvrit la porte aux nouveaux venus.

- Tiens ? Y aurait-il une nouvelle inconnue dans notre équation ? railla Robert Hartmann.

- Je ne suis que la bibliothécaire, répondit presque honteusement Sophie.

- En voilà au moins une dont l'honneur sera sauf, rebondit Richard Moreau.

Sophie resta silencieuse, sachant que son implication en tant que potentielle petite amie lui était passée sous le nez depuis longtemps. Sarah lui offrit un sourire d'excuse auquel elle ne répondit pas. Après tout, l'exclusivité ne valait peut-être pas une telle humiliation... Ou peut-être que si.

Une fois tout le monde assis, il fut certain que personne ne savait comment commencer cette réunion pour le moins compliquée. Ce fut finalement Rose qui prit la parole dans un silence lourd de reproches :

- Je n'aurais jamais cru vivre assez longtemps pour assister à une telle attablée. Les Hartmann et les Moreaux, réunis dans la même pièce, pour un même but ! Ne serait-ce que pour cela, Sarah et Nicolas ont accompli des miracles à mes yeux. Peut-être devrais-je profiter de cet instant unique pour partager avec vous, messieurs, ce que tout le monde sait déjà. La véritable histoire de vos aïeuls !

- Rien de ce qui sortira de ta bouche n'aura la moindre crédibilité à mes yeux, cracha Robert.

- Tais-toi !

Nicolas adressa ainsi pour la première fois depuis longtemps la parole à son père. Quant à Sarah, elle attendait toujours un signe encourageant de la part du sien, en vain.

Rose sourit à son cher protégé avant de reprendre pour la énième fois le récit de sa vie. Le raconter à l'époque avait été naturel, le raconter à Sarah avait été une délivrance, le raconter aux deux mères de familles avait été un devoir, mais aujourd'hui c'était un soulagement. La boucle était bouclée et elle savait au fond d'elle-même que plus jamais elle n'aurait à revivre cette jeunesse tourmentée, ponctuée de la mort de ses deux amours et d'un illustre inconnu.

Une histoire de mémoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant