Je n'ai pas hésité. Je n'ai pas réfléchi. J'ai oublié comment réfléchir. J'ai pris mes jambes à mon cou et je me suis mise à courir à travers la forêt. À travers les flammes. Les cendres. La fumée s'encombrant dans ma gorge. Tout n'était censé n'être qu'un rêve alors pourquoi ? Pourquoi est-ce que je ressens tout ça ?
Pourquoi ai-je l'impression de suffoquer intérieurement ? Pourquoi ai-je constamment cette impression de devoir fuir le monde ?
Les arbres tombent, s'écroulent et brillent d'une lueur rougeâtre. Les pins s'abattent sur mon passage et derrière un grognement terrible me poursuit. Pourquoi ai-je peur de lui ? Pourquoi est-ce que je le fuis ? Je ne suis pas censée courir.
Arrêtes-toi. Stop. Fais-lui face. Arrêtes-toi. Regarde-le. Dis son nom. Appelle-le.
« - Kyle ! C'est moi ! Arrête ! Tout ça n'est pas réel ! »
Si ce n'est pas réel, pourquoi ai-je aussi peur de toi ? Pourquoi, pour la première fois de ma vie, ai-je l'impression que tu pourrais me faire du mal ?
Tu n'es pas une bête. Tu n'es pas ce monstre. Tu n'es pas tout ça. Toute cette grotesque comédie, ce n'est pas toi, non.
« Utilise-le ». « Fais-le ». « Sauve-le ».
C'est vrai. Je peux le sauver. Non, je DOIS le sauver. Il peut bien me prendre mon autre bras, une jambe ou qu'importe si c'est là le prix à payer, mais je ne fuirais pas. Pas encore une fois. Pas devant lui. Je lui ai promis. Je lui ai assuré que tout ira bien et que quoiqu'il arrive, quoi qu'il advienne, je serais là.
Alors, je ne fuirais plus.
« Ferme les yeux et concentre-toi. Imagine, une lumière. Elle est forte, chaude, éclatante. Elle te protège de tout mal quelconque ». La voix de Léo résonne encore en moi, comme un écho bienveillant. Je dois croire en lui. Je dois croire en moi. En nous.
Je dois y croire, tout simplement.
« - Ferme les yeux ...Ferme les yeux, fis-je à moi-même en voyant la bête face à moi. »
Je tendis la main mais étrangement...rien ne vient. J'évitai de justesse un coup de mâchoire qui aurait pu faire de moi un petit sushi.
« - Amélia...Aide-moi. »
Cette voix encore. Elle semblait si triste. Perdue.
« - Je veux bien t'aider mais tu me compliques légèrement la tâche là ! »
Pourquoi est-ce que je lui parle ? Je sais qu'il ne m'écoute pas. Qu'il ne m'entend pas.
Je cours à travers les bois, trébuchant, m'écorchant les jambes, les bras, le corps tout entier et au bout d'un moment... J'arrive face à un ravin. Si je tombe...« - Il suffit d'y croire ! Il suffit d'y croire ! Il suffit d'y croire ! Aller j'y crois ! TU NE ME FAIS PAS PEUR ! »
En un saut souple et élégant la bête fut sur moi.
Non. Pas la bête. Kyle. Kyle est face à moi. Kyle est devant moi, là-dedans. Même si c'est un gros chaton grognon, il est là. Ce n'est pas un esprit, ni une bête, ni un monstre, c'est un homme, un ami.
« - Si j'ai réussi à mater un minou aussi gros que toi... Alors toi, ça devrait être du gâteau. »
Ferme les yeux. Concentres-toi. Respire. Calme-toi.
« - OH LA ...VACHEEE ! »
Une lumière s'échappa de nouveau de mes mains. Différente de celle que j'avais vue quand Kyle avait été changé en chaton. Elle est bleu, bleu comme le ciel. Elle s'échappe directement de mes paumes que je plaque sur l'animal qui me saute dessus et à cet instant, je sais que c'est la fin.
Tout semble disparaître dans un rayon lumineux et aveuglant et tandis que je recule, mon pied trébuche et je me sens tombée en arrière. Dans le vide.Je vais tomber. Je ne sais pas si j'ai réussi mais je vais tomber. Ce qu'il y a en dessous est un mystère mais je n'y survivrais pas.
« - Amy ! »
Une voix résonne dans la vallée et je sens une poigne ferme me rattraper et me redresser d'un coup, m'attirant complètement à l'opposé de ma chute. Je m'écrase par terre, sur quelque chose. Sur quelqu'un. Je m'écrase de tout mon poids sur la voix.
Sur sa voix.
Ses deux bras autour de moi, me compriment totalement et je sens les palpitations de son cœur. Je ressens la vitesse des battements, la moiteur de ses mains. La peur.
Je ne bouge pas, j'en reste pétrifiée. Je me vois encore tombante en arrière et je préfère rester accrocher à son tee-shirt.
Il se redresse mais ne coupe pas son étreinte et me regarde, transpirant par tous les pores de sa peau. On a un long moment de silence, comme si on se découvrait pour la première fois.
C'est complètement irréel.Aucun de nous ne sait comment faire face à l'autre. Aucun de nous ne sait quoi dire, quoi faire. On a beau se regarder sans crainte, comme si on se perdait dans le regard de l'autre, mais aucun mot ne fut dit.
Aucun, sauf un, s'échappant dans le creux de mon oreille tandis que je sens sa tête se caler contre mon épaule.
« - Merci. »
Je ne comprends pas. Je ne réalise pas. Je ne sais pas quoi lui dire mais ma seule réponse fut de lui sourire.
Je l'ai retrouvé.
Je t'ai retrouvé.
« - N'as-tu pas peur de moi ? demande-t-il en se dégageant légèrement
- Non. Pourquoi aurais-je peur de toi ?
- Tu as vu...enfin...
- Ne t'ai-je pas promis ? Que quoi qu'il arrive, quoi qu'il advienne, je serais là ? Ne te rappelles-tu pas : ensemble en vers et contre tous ? »Il sourit. Faiblement mais il sourit. Kyle est de retour. Encore tourmenté mais il est là. Face à moi. Contre moi. Un cœur battant, palpitant. Kyle est là et tout le reste, ne semble, sur l'instant, plus compter.
Et je crois, maintenant, qu'à tout bien y réfléchir, si je devais choisir un moment, je dirais que c'est à ce moment-là que tout a changé dans nos vies. C'est à ce moment-là que pour la première fois, on s'est rendu compte que l'on partageait quelque chose de « plus ». Tu sais, ce jour-là, je ne te l'ai jamais dit mais j'ai vraiment eu peur. Peur non pas de toi, mais de te perdre. Peur de voir cette bête te consumer de l'intérieur. J'ai eu peur pour toi.
Peur pour nous.
Parce que c'est à ce moment-là, que pour la première fois, j'ai commencé à apprendre à t'aimer.
Même si ce fut pour une courte durée.

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Hunters - Tome 1
AventureLa curiosité est un vilain défaut. Voilà un proverbe qui s'applique particulièrement bien à Amélia. Aimant mettre son nez partout et dans les affaires de tout le monde, cela a tendance à lui créer plus d'ennuis qu'autre chose, mais quand sa grand-mè...