Après avoir appelé ce fils de pute, je l'ai trouvé et je l'ai frappé. Je l'ai frappé jusqu'à ce qu'il oublie le prénom d'Alexie puis je suis parti. Et maintenant je suis sur mon balcon, à fumer une énième clope, réfléchissant à cette journée depuis que nous sommes rentrés. Mon portable affiche 4h du matin et tout le monde est couché. Je n'arrive pas à fermer les yeux. Quand je les ferme, l'image d'Alexie me vient en tête puis ce mec en sang. Je ne ressens aucun remord. Si Ben n'avait pas été là, je crois que je l'aurais tué. Je déteste ces mecs là, qui pensent pouvoir faire ce genre de chose, sans qu'il y est un retour. Il ne l'a pas vu comme je l'ai vu et ne l'a jamais vu comme je la vois. Elle ne mérite pas ça. Je soupire et ferme les yeux le plus longtemps possible mais les rouvre quand j'entend la porte du balcon s'ouvrir. Aurose se place au balcon et soupire avant de s'allumer une cigarette.
-Comment tu te sens ? Demande-t-elle après quelques minutes de silence.
-Je sais pas. Je trouve pas de mots.
Elle hoche la tête et recrache la fumée dans l'air.
-Ben nous a raconté ce qu'il s'était passé.
Elle se tourne vers moi et me fixe.
-Tu te rend compte de ce que tu as fait pour cette fille ?
Elle se tourne complètement et me fait face. Elle semble avoir de la peine pour moi et ça m'énerve. Je ne veux pas être celui pour qui on a de la peine, être celui qui n'arrive pas à dormir parce qu'il est trop tourmenté. Le gars qu'on plaint parce qu'il a souvent l'air triste et qu'il ne sait pas lui même pourquoi. Je suis énervé et rien ne me calme.
-C'est bien ce que tu as fais. Je ne connais personne qui l'aurais fait.
Je détourne le regard du sien et fixe l'horizon.
-Ken, on peut parler ensemble ?
Elle s'approche doucement de moi et s'assoit sur la chaise à coté de moi. J'hausse les épaules d'un geste je-m'en-foutiste mais au fond, je crève d'envie de lui parler.
-Je suis désolé. C'est la première chose que j'ai envie de te dire, parce que je regrette ce que j'ai pu faire et ce que j'ai pu dire.
Ma poitrine se serre. Je fixe toujours le fin fond de l'horizon, bercé par ses paroles qui me rassurent mais pas assez pour réussir à me calmer.
-T'as quelque chose à dire ?
Je ne dis rien pendant un court instant puis me tourne vers elle.
-Je sais pas quoi te dire.
C'est la vérité. Elle soupire et place sa mèche de cheveux qui tombe devant ses yeux derrière son oreille.
-J'aime pas parler de moi. Dit-elle soudainement. Mais je l'ai fait avec toi. J'aime pas parler d'amour. Mais je l'ai fait avec toi. J'aime pas parler de sentiments ou de tout ce qui s'en rapproche. Mais je l'ai fait avec toi. Avec toi Ken, il y a quelque chose de différent. T'as changé la donne. Je sais pas comment te le dire, j'ai eu du mal à te faire confiance. Tu comprends, j'ai pas l'habitude qu'on tienne à moi pour ce que je suis, puisque je ne montre pas grand chose. Mais toi, tu m'as prouvé que je pouvais te faire confiance par tes gestes et par tes mots. Alors, excuse moi, d'avoir douté de toi, d'avoir pu te blesser ou te vexer.
Ma gorge se noue. Je trébuche dans son regard et y reste planté pendant qu'un mélange de dizaines d'émotions me trahissent. Je me surprend à sourire et je prie secrètement pour qu'elle continue de parler mais la réalité me rattrape. Je repense à toute ces fois où je me suis retrouvé comme un con à cause d'elle, à réfléchir dans le vide durant des insomnies. Je fronce les sourcils et soupire.
-T'étais pas celle que je pensais. Là, honnêtement, je ne sais pas quoi te dire de plus que ce que je t'ai déjà dit. T'étais la seule fille derrière qui j'ai couru assez longtemps pour m'y être attaché, j'voulais apprendre à te connaître et j'ai appris à t'apprécier. Tu disais que tu m'aimais mais tu voulais te contenter de ça. Maintenant, je sais plus où j'en suis.
Elle me regarde, les yeux légèrement humide, et elle sourit.
-Tu te rend compte que tu parles de moi au passé ?
Sa voix est petite et fragile. Elle rit mais semble nerveuse. Elle s'allume une cigarette et je la regarde faire. J'observe les détails de son visage qui ont changés. Elle n'a plus l'air aussi sûre d'elle et ce petit air de panique qu'elle tente de cacher en riant ne m'échappe pas.
-Parle moi de ce que tu ressens. Dis-je en la scrutant.
Avec un peu de chance, si elle se livre à moi, j'arriverais à penser à autre chose et je serais moins énervé. Avec un peu de chance. Elle ferme les yeux et je crois qu'elle retient sa respiration puisqu'il n'y a plus que la mienne qui se fait entendre dans ce silence pesant. Elle rouvre les yeux et soupire.
-Je criais sur les toits à quel point j'étais libre, que j'étais un électron libre. Je disais que j'étais pas prête pour une relation amoureuse. Que l'amour, ce n'est qu'un jeu dont le perdant est celui qui aime et l'aimé, le vainqueur. Ken, je m'en veux d'avoir perdue. Je m'en veux de t'aimer, je suis moins libre en t'aimant.
Je souris et la scrute plus intensément qu'avant. Cette fille est trop butée, elle ne se rend jamais compte des choses.
-C'est faux ce que tu dis.
Elle se tourne vers moi et son regard jongle entre mes deux yeux.
-Comment ça ?
-T'es libre de m'aimer.
Elle fronce un peu les sourcils et sourit.
-Comment tu arrives à faire ça ? A changer de point de vue comme si tu lisais une histoire ?
-Un point de vue sur une personne est une compréhension de l'être. Je te comprend de plus en plus, mais jamais assez pour connaître tes réactions ou tes réflexions.
Elle s'approche soudainement de moi et scelle ses lèvres aux miennes, ce qui me surprend.
-Ces réactions là ? Dit-elle en souriant, fière d'elle.
Je détourne le regard et souris.
-Ouais, ça en fait partie.
-Tu m'en veux beaucoup ? Demande-t-elle en faisant la moue.
J'hausse les épaules.
-Ouais.
Elle soupire.
-Je te laisse réfléchir, je veux pas te brusquer. Je vais essayer de dormir.
Elle se lève et quand elle est sur le point d'entrer, elle se tourne une dernière fois pour d'adresser à moi.
-Tu devrais faire pareil.
J'hoche la tête et fixe à nouveau le paysage noir, illuminé de centaines de points lumineux. Je sais que je vais passer une belle nuit blanche à réfléchir dans l'vide. Les poing serrés en repensant à cette fille. On m'a appris qu'il ne fallait jamais regretter ses choix, mais regretter ceux qu'on a pas fait. Mais j'peux pas m'empêcher de réfléchir à Aurose. Est-ce que j'aurais dû lui donner satisfaction et frapper ce mec ? J'ai l'impression d'avoir casser quelque chose entre nous, en moi. J'suis pas de ce genre là, à frapper un mec pour une fille. Si elle n'est pas de confiance, généralement je passe à autre chose. Mais là, j'ai réagis comme ça et je ne sais pas pourquoi. Peut-être que je l'aime plus que je ne veux bien me l'avouer.