3ème Fragment

160 12 1
                                    

De la pop dans les oreilles, je descends la rue d'un bon pas avec un sourire pour les voisins qui me saluent. Autour de moi la ville commence sa journée. Les plantes viennent d'être arrosées par la voirie et sentent plus fort que d'habitude, et je suis dépassée par des gens pressés qui courent pour prendre le bus ou le tram, tandis que j'avance sans me presser. Je suis à l'heure.

Je manque de tomber à la renverse quand une ombre surgit de derrière un panneau d'affichage et écarte les bras. La tête dans ma musique je n'ai rien vu venir ! C'est Hayat, bien sûr, et elle est écroulée devant ma réaction.

"Mais quelle andouille !" Je fulmine et je me remets à marcher sans lui dire bonjour. Elle se lance à ma poursuite.

"Si tu crois que c'est comme ça que t'auras mes devoirs !"

"Oh allez, c'était pour rire !" Elle m'attrape la manche et je me retourne, le visage fermé.

"Ben moi je ris pas."

Bon, si, un peu, à la voir hilare j'ai du mal à me retenir, mais ça lui ferait trop plaisir. Il faut qu'elle apprenne à arrêter de m'embêter comme ça !

Hayat est plus vieille que moi, elle a redoublé une classe au collège. Du coup, elle fait plus mature en tout. Plus grande que moi, plus développée, plus franche. Elle porte des baskets avec les lacets défaits juste ce qu'il faut, un jean usé, une tunique rayée qui dépasse sous un sweat-shirt foncé, et sa vieille veste militaire grise. Elle a ramené sa coiffure d'un seul côté, sa longue masse de cheveux noirs et brillants qui lui donnent l'air d'une reine farouche. 

Personne ne se frotte à Hayat au lycée, même ses ennemis déclarés ; pourtant en réalité c'est la personne la plus gentille que j'ai rencontrée et je suis heureuse de connaitre cet aspect d'elle. parfois j'ai l'impression que la gentille Hayat, elle est juste pour moi. Et c'est vraiment ma meilleure amie.

Je lui tape l'épaule en gloussant, je ne peux plus faire semblant d'être fâchée. Elle me sourit de ses belles dents blanches, ça lui donne à chaque fois l'air d'une lionne prête à me dévorer. Si on n'étaient pas amies elle me ferait presque peur. Je fouille mon sac et je lui tends le devoir d'histoire.

"Tiens, cache ça avant qu'on soit au lycée, je suis sûre que monsieur Benoit se doute de quelque chose."

Hayat roule ses yeux noirs et range les feuilles dans son sac-bandoulière. Monsieur Benoit c'est le prof d'histoire-géo, et aussi le prof principal. Il est sympa et il aime bien Hayat. Elle n'a pas "le profil scolaire", comme il lui a dit un jour après les cours, et il n'aime pas pénaliser les élèves pour ça. Je me demande s'il y a beaucoup de profs cools comme lui.

Soudain, elle pointe du doigt et elle ne sourit plus.

"Hé, c'est pas Marion ça ?" 

Je regarde de l'autre côté de la rue. C'est Marion, oui, le troisième membre de la bande. Si j'ai l'âge normal et que Hayat a redoublé, Marion c'est l'inverse : elle a sauté une classe en primaire parce qu'elle était trop intelligente pour son bien, et maintenant qu'elle est dans la jungle, ça ne marche plus très bien pour elle. Je la connais depuis presque aussi longtemps que Hayat, mais elle ne traîne vraiment avec nous que depuis le lycée. Avant, elle avait d'autres amis. Maintenant, elle est vraiment toute seule, elle n'a plus que nous : ses anciens amis sont dans l'autre lycée de la ville.

De ce que je vois de Marion, là, elle est encore en train de se faire harceler par le gang des garces. Vanessa, leur chef, c'est la fille que vous avez connue en primaire et au collège et qui était sympa, jusqu'à ce qu'elle ne change avec la puberté et ne devienne une véritable saleté, aussi caricaturale qu'à la télé.

Ces derniers temps son groupe a décidé de prendre Marion comme cible parce que, il faut le dire, c'est la seule qui n'est pas "protégée". Moi, j'ai Hayat qui n'habite pas loin de chez moi et avec qui je fais toujours les quatre-cent coups ; et les autres filles un peu différentes de la classe traînent ensembles. Marion, qui vient au lycée à pieds comme nous, ne croise notre chemin que très tard. Donc les jours comme ce matin, on arrive parfois trop tard pour faire bouclier. 

ÉchosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant