10ème Fragment

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Je fixe Shard, et son regard ne flanche pas. 

Ah. "Non". Bon. J'accepte sa réponse, mais elle me laisse perplexe. J'étais pourtant sûre que ce serait quelque chose comme ça. 

"Laisse-moi te poser une question" dit-il aimablement.

Pour quelqu'un qui vient d'être traité de fantôme, il n'a pas l'air particulièrement perturbé. Et sa voix est apaisante ; un timbre ferme et élégant. Je me radouci et revient m'asseoir.

"Que penses-tu de ta vie, Diane ? Ce n'est pas vraiment ce que tu espérais, ces derniers temps, n'est-ce pas ?"

Je  hoche la tête. Il a raison. C'est comme si on m'avait retiré un voile des yeux. Qu'est-ce qu'il a dit tout à l'heure ? Voir les choses comme elles étaient vraiment ?

"Il y a un moyen, tu sais. Un moyen de tout arranger. Il suffit d'être forte."

Il me tend une main gantée et je la prends. Il serre ma paume d'un air satisfait, puis je le vois froncer les sourcils, son visage passer à l'étonnement puis à l'inquiétude. Il lâche ma main et se tapote nerveusement le genou de son chapeau.

Il marmonne. "Curieux, vraiment curieux, je-"

"Un problème ?"

Il me regarde avec incertitude. "Non, non, je ne pense pas." Son sourire est moins assuré.

Je croise les bras. Qu'est-ce qui se passe encore ? J'en ai assez de me poser cette question à longueur de temps comme une idiote. Lui se lève, s'époussette et remet son chapeau, tout en tripotant pensivement sa canne. 

"Désolé de t'avoir fait perdre ton temps."

Je l'entends répéter à mi-voix que c'est curieux, vraiment curieux, et il pivote sur ses talons. Attendez, il s'imagine que je vais le laisser partir comme ça ?

"Ola, deux secondes, mon cher monsieur Shard. Vous ne croyez pas que j'ai droit à quelques réponses ?"

Il se retourne avec un soupir et me considère brièvement.

"Hé bien, on dirait que tu n'es pas prête. C'est-"

"Curieux, oui, je sais, j'ai entendu. Pas prête pour quoi ?"

Il marque une pause et semble réfléchir. Sa main disparaît dans son veston et réapparaît avec une vieille montre à gousset. Le verre est brisé, comme le pommeau de sa canne, et il le caresse d'un pouce ganté. Finalement il se décide.

"Pour la dernière étape" répond-il, "celle qui te libère. J'étais là pour ça."

Il a l'air prêt à me donner des réponses. Elles sont cryptiques mais c'est mieux que rien... Pas de beaucoup, mais bon. Je persiste :

"Et pourquoi c'est curieux ?"

Sa montre retourne dans sa poche et il s'adosse au mur en examinant nonchalamment sa canne.

"Parce que tout semblait s'être passé comme il fallait. Mais on dirait bien que non."

"Et comment ça se fait ?"

Il sourit et me salue en touchant le bord de son chapeau.

"Ceci, ma chère, je vais devoir le découvrir avant de pouvoir t'en dire plus. Mais ne t'inquiète pas... Nous nous reverrons, c'est promis."

Ha non, j'ai encore des questions ! "Tout s'était passé comme il fallait ?" De quoi il parle ? Je m'élance pour lui attraper le bras. De sa canne, il repousse ma main sans effort et recule d'un pas. Au même moment, il y a un bruit de verre brisé et je me retourne en pensant qu'un vase de fleur est tombé d'une fenêtre ou qu'une vitre a été cassé, mais je ne vois rien. Mon cerveau me hurle que quelque chose ne va pas du tout et soudain ça me frappe : Shard a reculé d'un pas... alors qu'il était adossé au mur. Je fais volte-face ; il n'y a plus personne.

Je suis seule dans la ruelle. Un puissant malaise m'envahit et je me sens soudain petite, toute petite.

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