17ème Fragment

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Rien ne vient. J'ouvre les yeux et lis l'inquiétude dans ceux de ma mère, la douleur de me voir lui mentir. Je me sens soudain terriblement coupable.

"Je ne veux vraiment pas te forcer à me parler, ma chérie. J'aimerai que tu le fasse de toi-même."

Je hoche la tête mais ne dis rien. Devant mon silence, elle pose sa main sur ma joue.

"Tu n'es pas persécutée au lycée j'espère ?" Elle grimace. "Ce n'est pas un garçon qui... qui..?"

Je n'ai pas le choix, je ne peux rien lui dire, pas encore. Pas avant d'avoir des réponses qui me satisfassent moi-même. Pardon, maman.

"Oh la la, Non ! Je t'assure ! Ce n'est rien de ce que tu peux imaginer, vraiment !" Et là je défie son détecteur de mensonges intégré de réagir à ça, vu que c'est la déclaration la plus vraie de toute la conversation."Je n'ai pas envie d'en parler, s'il te plait, excuse-moi."

Je lui fais un faible sourire et je pars vers la porte, mais je me retrouve nez-à-nez avec mon père, qui a lui aussi l'air fatigué. Il n'a pas mieux dormi qu'elle. Les voir s'être fait autant de souci et ne rien pouvoir leur dire me serre le cœur. Probablement pour ne pas me donner l'impression de me coincer, il se glisse dans la salle de bain, se met à côté de ma mère et lui prend la main. 

"Ma chérie, j'espère que tu sais que tu peux tout nous dire."

Je suis maintenant dos à la porte. Je pourrais partir mais je répugne à simplement leur mettre un vent, là, comme ça.

"Oui je sais, je sais bien papa !"

Et c'est vrai, j'ai tellement de chance d'avoir les parents que j'ai, j'en suis bien consciente.

"Tu étais bouleversée hier" continue-t-il, "Il ne faut pas t'en vouloir pour ton comportement. On n'étaient pas bien non plus, et tu sais, on comprend, chaton. On n'est pas fâchés."

J'imagine que maman lui a expliqué pour Hayat. Je suis en train de perdre rapidement espoir. Comment vais-je pouvoir limiter les dégâts de toute cette affaire ? Avec elle, avec eux, avec Marion ? Les dégâts que j'ai causés quand j'étais sous l'influence de cette chose ? Pauvre Hayat... j'ai envie de l'appeler là, maintenant, sans attendre de la voir au lycée.Comme s'il avait lu dans mes pensées, mon père me tend alors quelque chose. C'est mon téléphone, qui a passé la nuit dans le jardin. Il l'a essuyé, mais il reste encore des traces de rosée et il y a un peu de terre dans les rainures. Je ne fais aucun geste pour le prendre.

"Un problème, ma chérie ?"

Autre chose que je ne peux pas leur expliquer. Je fais un effort qui me semble surhumain et j'approche la main du portable. Et là, je me fige. L'écran vient de s'allumer tout seul, encore, d'une lumière douce qui pulse lentement. Si c'était tout, ça serait déjà flippant, car je n'ai pas oublié la décharge que j'ai prise dans les doigts, ni sa manière de fonctionner sans batterie. Mais non, il y a autre chose : derrière mes parents, la femme de tout à l'heure se tient de nouveau dans la glace. Elle a le bras tendu, la paume appuyée contre son "côté" du miroir, et sa main brille en rythme avec la lueur du portable. Je constate avec horreur que mes parents ont le regard un peu dans le vide.

Je ne peux m'empêcher de crier. "qu'est-ce que vous leur faites ? Arrêtez tout de suite !"

Mes parents ne réagissent pas. Et si la femme m'entend, elle n'en montre rien. Je m'accroche au bras de mon père pour lui faire lâcher le téléphone, mais rien n'y fait, il ne bouge pas. Ils n'ont pas l'air de souffrir, ca ne ressemble pas à la fois où cette saleté m'a zappée, mais je suis quand même folle de peur. Enfin, après quelques secondes interminables qui m'ont noué l'estomac, ils se détendent. Leurs yeux se remettent à cligner, et la lumière du portable se dissipe. La femme, par contre, est toujours là.

Le regard de mon père passe de moi au téléphone, il appuie sur quelques touches, le secoue.

"Hum, on dirait qu'il ne marche plus. Il a passé la nuit dehors, faut dire."

"Hein ? Oh, heu, oui..." Je l'écoute à peine, je ne vois que la figure dans le miroir, elle vient très clairement de leur faire quelque chose, mais quoi ? Et pourquoi elle ne part pas ? S'ils la voient... 

  "Chaton ? Qu'est-ce qu'il y a ?"  

Oh non, je crois que j'ai trop fixé la glace ! Mes parents froncent les sourcils et se retournent pour suivre mon regard. 

Cette fois, c'est cuit.

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