13ème Fragment

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Je regarde la flaque noirâtre sur mon lit. La chambre est toujours plongée dans la pénombre, mais la lumière des étoiles et de la lune est suffisante pour faire miroiter les morceaux de verre anguleux qui en dépassent. Du verre ? Je me racle la gorge, je tousse, mais je ne sens aucune coupure, rien. C'est anormal, c'est impossible, je ne pourrais pas avoir vomi ça sans m'être tailladé l'œsophage au passage.

De là où je l'ai jeté, mon portable vibre et je sursaute à en percuter le plafond. Vacillant sur mes jambes, je vais le chercher et je l'éteins sans regarder l'écran. Deux secondes après, il se rallume tout seul dans ma main. J'y crois pas ! J'ouvre le dos, j'enlève la batterie d'un geste brusque et je fourre le tout dans un tiroir pour ne plus y penser. Je m'assieds à mon bureau, la tête entre mes mains. Mon sac à dos, qui était posé contre le meuble, glisse de côté et s'appuie sur ma jambe. J'en sors le dessin d'Hayat et je le regarde.

Il est beau, ce dessin. Il est aussi délicat et inspiré que la première fois que je l'ai vu. Comment j'ai pu percevoir ces choses affreuses dedans, tout à l'heure ? Pourquoi étais-je incapable de la moindre pensée positive ? Qu'est-ce qui m'a prit ? Un sanglot monte dans ma poitrine avec une pression que contracte tout mon visage. Mes yeux sont tellement fermés qu'ils me font mal. Je repense à mes actions et à mes mots cet après-midi et ça ouvre un gouffre sous mes pieds de la taille de l'univers.

Vrrrrrrrrrr.

Une vibration dans le tiroir. La lumière de l'écran s'échappe de l'interstice. Il n'a plus de batterie ! J'ai enlevé cette foutue batterie ! J'ouvre le tiroir si fort qu'il sort de sa glissière et me frappe les tibias avant de m'écraser les orteils. Ca fait un mal de chien mais je ne m'en rends même pas compte. Le portable sans batterie est bien là, et il vibre sans s'arrêter. je l'empoigne avec un cri rauque de rage et de peur et je le balance par la fenêtre de là où je suis.

Il y a bruissement de tissu. Tes amies te mentent. Du coin de l'œil je crois voir un mouvement. Avec une stupidité incroyable, je m'approche, et ce que je prenais pour une simple flaque de liquide se dresse avec un mouvement ondulant et se jette sur moi. Le choc me déstabilise, mon dos cogne le rebord de la fenêtre. En bas dans le jardin, je vois la lumière du téléphone qui clignote.

Comme dans un cauchemar, la chose, la... la limace me grimpe le long du corps sans vouloir lâcher prise. Je la repousse comme je peux, ce qui me vaut des coupures sur les bras : cette fois, le verre tranche ! Quelle est la logique dans tout ça, y en a-t-il seulement une ? Le bout de la chose m'effleure le menton, et j'ai un hoquet. Je me souviens.

Tu es seule, tout le monde est contre toi.

Je me souviens avoir déjà vécu ça. Dans la cabane. La limace était dans la cabane, tapis dans l'ombre, et je l'ai laissée faire, dans l'état second où j'étais avant que les filles ne me trouvent. Je l'ai avalée, entièrement, elle a rampé lentement dans ma bouche, dans ma gorge, pour aller se lover autour de mon cœur.

Mais pas cette fois.

Je la repousse violemment alors que son extrémité répugnante vient me caresser les lèvres. Elle retombe à terre avec un bruit mou écœurant. Je sens sa confusion, sa faiblesse grandissante, et j'entends enfin ses paroles comme venant d'elle, plutôt que de les prendre pour mes propres pensées. Rien n'a d'importance. Elle n'est pas habituée à devoir se battre contre un hôte. Elle est à cours de temps. Tu es... La limace se tortille encore un peu au sol et s'affaisse enfin, inerte. 

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