32ème Fragment

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La mère d'Hayat ferme la porte derrière moi, et je m'y adosse en glissant au sol, face au lit.

C'est Nouri qui nous a trouvées enlacées dans le parc. Bien sûr, il a paniqué en voyant sa soeur inanimée, mais je crois avoir réussi à lui faire avaler qu'elle était simplement épuisée et que je venais de la découvrir endormie dans la cabane en bois pour enfants. De retour chez eux, sa famille a prit le relais. Hayat s'est vaguement réveillée, apparemment, pendant que sa mère la séchait et changeait ses habits, mais elle est restée dans les vapes. De mon côté, ils m'ont prêté quelques-uns de ses vêtements pour que j'ai quelque chose de sec sur le dos, et j'ai appelé mes parents pour les prévenir que je rentrerai tard, ou peut-être pas du tout si je pouvais rester chez Hayat.

Devant moi, Hayat bouge dans son sommeil. Je rougis toute seule au souvenir de mes pensées lorsque je l'ai sauvée. Nous étions si intimes, à ce moment, c'est exactement comme ça que je me suis toujours représenté sortir avec quelqu'un. Plus proches que des amies ou que des soeurs. C'est tellement embarrassant, j'espère qu'elle ne s'en souviendra pas à son réveil. 

Tout à mon tumulte intérieur, je remarque à peine qu'Hayat s'est assise sur le bord du lit et se gratte la tignasse. Je ne m'en rends vraiment compte qu'en sentant ses yeux foncés se braquer sur moi.

"Qu'est-ce que tu fais là ?" Demande-t-elle d'un ton neutre. 

Avec Hayat, neutre ça n'existe pas. Soit c'est qu'elle te déteste déjà, soit c'est qu'elle attend de voir ce que tu vas répondre pour décider à quel point elle te déteste. Je pèse soigneusement mes mots. D'abord je lui explique qu'elle s'est endormie de fatigue au parc, et ensuite, je lui ouvre mon cœur. Je lui présente mes excuses pour mes paroles au téléphone, je la supplie de me pardonner...  et bien sûr je ne mentionne pas la Limace. Je ne suis pas prête à parler d'influence maléfique, je ne veux pas l'entraîner dans cette histoire de fous. Pour la même raison, j'évite soigneusement de mentionner les événements du parc.

Elle m'écoute sans interrompre, et quand tout est dit je me relaxe un peu. J'ai vidé mon sac, je n'ai plus qu'à attendre sa décision. 

Ce qu'elle dit ensuite me sidère.

"Je peux savoir pourquoi j'ai un souvenir de toi, lumineuse comme une sorte d'ange, en train de me rouler une pelle sous la pluie ?"

Je panique. Non, je ne l'ai pas embrassée, ça j'en suis sûre ! Je bafouille quelques secondes avant de trouver les mots.

"Hein ? Quoi ? Mais pas du tout ! J'étais pas vraiment un ange, et j'étais juste en train de te sauver ! À aucun moment je ne t'ai embrassée !"

Elle me regarde bizarrement. "Me sauver ? De quoi tu parles ? Qu'est-ce qui s'est passé dans le parc ?"

Grillée. Qu'est-ce que je dis, maintenant ?

"La vérité, dis-lui simplement la vérité" me conseille Reflet, qui vient d'apparaître dans le miroir de la chambre. Je fais un effort pour lui répondre dans ma tête, pas à haute-voix.

"Elle ne me croira jamais !"

"Alors montre-lui aussi."

Elle en a de bonnes ! J'essaye de gagner du temps. 

"Pourquoi elle dit que je l'ai embrassée ?"

Reflet hausse les épaules. "Son cerveau essaye visiblement d'interpréter ce qu'elle a ressenti quand tu l'as purifiée. Souviens-toi qu'elle était presque entièrement partie, à ce moment-là. Vu le contact profondément intime que ça a entraîné, j'imagine qu'un baiser passionné est ce qui s'en rapproche le plus dans son imagination."

Hayat me regarde toujours. Je n'arrive pas à savoir si le temps s'est ralenti comme les autres fois ou si je suis devant elle en temps réel, à discuter dans ma tête.

"Reflet, est-ce qu'Hayat peut te voir ?"

"Pas pour l'instant, mais c'est faisable en partageant le pouvoir du Talisman."

Ah, bon. Le Talisman. Il n'y a pas cinq minutes je disais ne pas vouloir entraîner Hayat dans tout ça. Mais est-ce que je vais supporter que ma meilleure amie me rejette ?

Hayat brise enfin mon dialogue intérieur et je peux voir à ses lèvres retroussées qu'elle a tiré les mauvaises conclusions. "Bon, je sais pas ce qui s'est passé et franchement, au final, je m'en fous. Sors de ma chambre."

"Hayat, je..."

"Je veux pas entendre tes excuses deux fois. C'est déjà fait. Et j'ai beau essayer de me forcer..." Elle me regarde et pour la première fois depuis qu'on est ados je vois des larmes perler dans ses yeux. "...J'ai beau me forcer, je peux pas te pardonner ce que tu m'as dit. C'était dégueulasse, Diane, dégueulasse. Je veux que tu me foutes la paix maintenant, et lundi on change de place."

La douleur que je ressens à ces mots m'apporte la réponse : non, je ne peux pas accepter qu'elle pense ça de moi. C'était la Limace ! Et je sais que c'est un geste égoïste, mais il n'y a qu'une façon de le lui prouver.

Je sors mon portable, je lui agrippe le poignet et je me concentre très fort.

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