7ème Fragment

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Mon doigt me donne l'impression de picoter quand je déplace le curseur jusque sur l'icône mystérieuse et que je valide.

Rien ne se passe.

Toute ma tension s'évanouit (tiens, j'étais tendue ?) comme un ballon qui se dégonfle. Je réessaye deux ou trois fois mais non, vraiment rien. Je ri, incertaine (à quoi je m'attendais ?) et je rempoche le téléphone en haussant les épaules. Je me sens soudain désœuvrée et je saute de l'arbre. Ça dérange Hayat qui lève les yeux de son dessin : elle est toujours sur celui qu'elle a commencé en physique.

Je tends la main.

"Je peux voir ?"

Elle hésite puis me donne la feuille, et je regarde mieux : c'est un arbre avec un branchage très dense dont elle a tracé chaque détail minutieusement. Le feuillage, avec ses ombres et ses entrelacs, dessine un visage de femme. C'est très beau et poétique, et on ressent le soin apporté à chaque trait. Qu'est-ce qu'elle est douée ! Elle n'a pas de soucis à se faire pour plus tard... même avec ses notes. Elle fera une école de dessin ou quelque chose comme ça et sera vite connue, pas de doute là-dessus.

"C'est trop beau, Hayat, t'es incroyable."

Marion vient regarder ce que je tiens et approuve. Hayat glousse, gênée, et secoue les mains.

"Non, tu rigole ? C'est bâclé. Je savais pas où j'allais et j'ai tenté de rattraper le truc, mais c'est trop chargé maintenant."

Elle range ses crayons dans leur boîte.

"Je suis pas d'accord... Je l'aime vraiment."

Hayat me regarde par-dessus son sac, le regard intense. Pour voir si je me moque ? Jamais de la vie.

"Alors garde-le" me dit-elle avec  un sourire fugace, "c'est pour toi."

Je veux protester, c'est son art, son dessin, mais elle s'est détournée et a sorti son téléphone pour vérifier ses messages. Je prends mon sac et glisse soigneusement la feuille dans un classeur.

"On retourne au lycée ?" demande Marion incertaine, debout devant sa chaise. 

Hayat s'est fait une place au sol dans les herbes sèches et répond d'une voix lasse : "Non, on a encore trente bonnes minutes, je me repose."

Marion se rassied et sort tranquillement un livre de cours. Moi, je danse d'un pied sur l'autre, et sur un coup de tête je les laisse et m'approche de la cabane.

Côté route, il y a la vieille porte en métal rouillé, bien en place. Mais côté parcelle, l'ouverture est béante, la porte sans doute arrachée par de quelconques squatteurs il y a longtemps : on marche dessus pour rentrer dans la pièce. J'y pénètre en quelques pas et laisse mes yeux s'habituer à la pénombre. En face de moi, le rectangle de lumière de la porte bloquée se découpe dans le mur et se projette sur le sol encombré que je ne vois pas encore. Par terre je sais par expérience que c'est le bazar : un très vieux matelas dont je ne m'approche jamais, des bouteilles, des journaux, des paquets de gâteaux défraîchis...

Confusément, je me rends compte que mes yeux ne se sont toujours pas habitués, et quelque part, je sais que ce n'est pas normal. Je regarde autour de moi : tout reste obscur, même la lumière qui vient des interstices de la porte semble avoir faibli. Quant à l'entrée derrière moi, c'est fou mais j'ai du mal à la distinguer quand je me retourne. Ma poche tremble et je sursaute : mon téléphone. Je vois la lumière de l'écran clignoter follement à travers la toile de mon pantalon. Et la vibration est continue, sans à-coups... Vrrrrrrrrrrrrr, plutôt que vrrrr-vrrrrr  vrrrr-vrrrrr, vous voyez ? Ce n'est pas un appel, ce n'est pas un message, je ne sais pas ce que c'est. 

Je porte la main à ma poche et quelque chose souffle dans le noir. Comme un animal. J'ai chaud et j'ai froid en même temps. Mon bras est paralysé, je veux sortir le téléphone de ma poche, ce téléphone qui vibre tellement qu'il est en train de m'engourdir la cuisse, mais je ne peux pas. Figée dans le noir, je n'arrive même pas à parler pour m'étonner de la situation, ou même carrément crier, car j'ai vraiment peur maintenant. Qu'est-ce qui se passe ? Au secours !

Au secours...

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