25ème Fragment

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Emilie.

À côté de moi, Marion se crispe. Face à nous, la garce affiche son expression favorite de mépris et de supériorité, bras croisés et posture du bassin volée à quelque publicité pour du parfum hors de prix. Juste derrière elle le reste de sa clique ricane, mais aucun signe de Vanessa : je ne vois la reine de ces pintades nulle part. En m'étonnant moi-même, je lève le menton et plonge mon regard dans celui d'Emilie. 

Après avoir vomi et ensuite combattu une limace maléfique pleine de bouts de verre, ce n'est plus une petite caïd des bacs à sable qui va m'intimider.

"Bouge de là."

Elle a l'air aussi surprise que moi par mon assurance nouvellement acquise, mais ne peut pas se permettre de reculer devant son public, comme toute bonne brute. 

"Oulhaaa, mais c'est qu'elle mordrait, la pétasse !"

Elle renifle de mépris.

"Ta maîtresse est plus là alors tu te sens pousser des griffes ? Coucouche panier !"

Je hausse les sourcils dans sa direction. "Bon, viens Marion, on va être en retard."

La meute retient son souffle. D'habitude Emilie ne se fait pas remballer comme ça, en tout cas pas sans que la victime ai une voix tremblante qui trahit ce qu'elle ressent vraiment. Il n'y a guère qu'Hayat pour lui tenir tête, mais c'est avec violence et rugissements. Ce matin, avec moi, c'est différent. Ma voix ne tremble pas : elle n'exprime qu'un profond désintérêt pour cette méchante fille, qui depuis les événements d'hier est devenue trop petite dans mon univers pour réellement mériter mon attention.

Mon indifférence n'échappe à personne. Marion m'emboîte le pas,  un peu perdue mais soulagée de pouvoir partir. Emilie, par contre, ne l'entend pas de cette oreille. Je la vois se remettre de son choc scandalisé tandis que je la dépasse, et je la sens m'agripper violemment par la hanse du sac, en m'empoignant douloureusement quelques cheveux au passage.

"Ecoute moi quand je te parle sale petite-"

SCHLAFF.

J'ai pivoté sur moi-même et ma main a fusé. Sans avoir prit la peine de viser, ma gifle la cueille sur le côté du visage avec un claquement sec et douloureux. Ma paume m'élance terriblement, mais ça doit être pire pour elle. Elle se rue sur moi.

"mais t'as cru quoi putain de-"

SCHLAFF.

Deuxième passage, droit sur la seconde joue. Cette fois elle recule, à la fois sous l'impact et la surprise. Ses yeux sont écarquillés, elle tente sans succès de dire quelque chose en portant les mains à son visage qui doit bien la brûler. Son entourage est horrifié. J'ai vraiment de la chance qu'on ne soit pas devant le lycée : un surveillant nous serait tombé dessus tout de suite et c'était le bureau de la CPE dans la seconde.

"Emilie !"

C'est Vanessa, qui sort d'une boulangerie et marche rapidement vers nous. Là où la colère d'Hayat est brutale et passionnée, celle de Vanessa est froide et cinglante.

"J'en ai assez de tes singeries, Emilie ! Tu te donne en spectacle et tu n'es même pas fichue de t'en sortir. C'est vraiment la honte."

Vanessa nous jette un regard impérieux qui nous défie d'en rajouter, mais je me garde bien de dire quoi que ce soit. Ma main me fait mal, et l'incident est clos en ce qui me concerne ; inutile de provoquer un nouveau round d'hostilités.

Les hyènes se soumettent à leur reine avec des regards haineux dans notre direction. Emilie fulmine, serre les poings, et l'espace d'un instant j'ai l'impression qu'elle va craquer et se rebiffer contre sa chef de meute. Mais non, elle marmonne quelque chose et part la première, en se massant les joues quand elle espère que personne ne l'observe.

Je regarde Vanessa s'en aller en échangeant des plaisanteries avec Charlotte, une des filles, et tout comme hier matin je me demande comment j'ai pu être amie avec elle. Distante, hautaine, entourée d'un aréopage des pires grognasses de la classe, elle n'a plus rien de la copine qui venait s'extasier du riz cantonais de mon père.

"Tu étais incroyable" s'exclame Marion quand il ne reste plus que nous deux. "Tu l'as carrément giflée, j'arrive pas à y croire ! Quand on racontera ça à Hayat !"

La mention de notre amie me pince d'abord le cœur, puis je sens malgré moi un sourire s'épanouir sur mon visage. C'est vrai, ça ! Quand on va lui dire, elle sera fière de moi, c'est obligé. À la vue du visage rayonnant de Marion, je n'en doute pas une seconde. malgré tous les soucis que m'ont apportés Reflet et les autres, je suis devenu un peu plus forte et sûre de moi. Assez pour tenir tête aux brutes... Et assez pour avoir le courage d'affronter le courroux d'Hayat et lui demander pardon.

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