34ème Fragment

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Je me réveille le lendemain au pied du lit d'Hayat, sur le même sac de couchage qu'on utilisait à chaque fois que je dormais chez elle quand on était plus jeunes. Je m'étire... et mon poing lui vole droit dans la figure. Oh non ! Elle s'était allongée à l'envers pour qu'on puisse discuter hier soir et elle a dû s'endormir ainsi !

Elle pousse un cri et se dresse sur le lit, mains sur le nez.

"C'est quoi ton problème Diane !"

"Pardon ! Pardon !"

Elle me jette un coussin à la tête en riant et je couine de surprise, puis elle me saute dessus et me plaque au sol par les poignets.

"Ben alors Miss Magique, on se transforme pas pour échapper à la grande méchante Hayat ?"

Je me tortille sous son poids pour essayer de me dégager, mais elle est bien trop forte pour moi.

"C'est pas comme ça que ça marche Hayat, arrête !"

Elle éclate de rire à nouveau et me relâche en roulant sur le côté.

"C'est pas très utile alors" dit-elle en haletant, son visage tourné vers moi, couvert de ses mèches folles.

"Si j'avais su que tu me traiterais comme ca ensuite, je ne t'aurais pas montré à quel point c'était utile dans le parc !"

Elle se relève et me tire par le bras pour m'aider à me remettre sur pieds.

"C'est juste de l'amour vache, Diane" dit-elle en mimant un bisou. "Vraiment, merci de m'avoir sauvée."

"Ça ira pour cette fois" dis-je, et je me gratte la hanche en bâillant.

À côté de nous, Reflet apparaît dans le miroir, et Hayat sursaute. Je souris : au moins, elle ne s'y habitue pas, ça fait toujours un truc où je suis 'meilleure' qu'elle. Moi, un complexe d'infériorité ? Noooon, jamais !

"Vous avez bien dormi, les filles ?"

"Tranquille" répond Hayat. "Je me serais bien passée du poing dans la tronche au réveil par contre. Je me plaindrais à la direction de l'hôtel, un simple appel aurait suffit."

Je glousse et demande "C'est quoi le programme aujourd'hui, 'Yat ?"

"Petit déjeuner avant tout."

 On descend en pyjama jusqu'à la cuisine. Hayat se sert un large bol de céréales au miel et mastique bruyamment avec un plaisir non-feint.

 "Y'a pas à dire, se faire posséder par une créature maléfique ça creuse."

Ça, je veux bien le croire, je me sens moi-même affamée et je m'empare du pain. Rapidement, un tas de tartines de confiture s'élève devant moi.

"En parlant de créatures" reprend Hayat quelque part au-delà de la pile, "on va chez toi ensuite ?"

J'avale ma bouchée. 

"Si tu veux, pourquoi ?"

"J'aimerai que tu me montre celle dont tu m'as parlé et que t'as piégée dans ta valise."

"Tu es sûre ?"

"Oui, je veux la voir. D'ailleurs j'arrive toujours pas à croire que t'ai sacrifié la valise de notre voyage en Italie."

"Je sais ! Ça m'a vraiment brisé le cœur mais je n'avais que cette solution, ou alors fallait mettre la poubelle à l'envers et des dicos dessus pour faire du poids mais j'avais pas confiance."

Le repas terminé nous alternons l'usage de la salle de bain et j'enfile enfin mes vêtements de la veille, qui ont séché toute la nuit près du radiateur.

"Merci encore pour hier" dis-je à Mouna, la mère d'Hayat, qui vient de rentrer du marché.

Elle me fait un bon sourire et me tapote la joue. 

"Mais non ma chérie, c'est normal !"

Puis, voyant que je me suis habillée pour partir, elle sort du chariot des légumes et des fruits qu'elle me fourre dans les mains.

"Tiens ! Pour tes parents !"

Je sais que c'est inutile de refuser, je la remercie donc et je me promets de lui amener aussi quelque chose la prochaine fois que je serais là.

Quand Hayat descend, je suis en train de fermer mon sac à dos sur un poireau particulièrement récalcitrant, et ca la fait rire.

"Tu sais, on avait des sacs plastiques à te passer, sinon."

Je sens le parfum de son savon quand elle passe près de moi. Cette odeur est déjà dissipée au moment où je la retrouve le matin pour aller au lycée, et ca me rappelle donc toutes les autres fois où on a dormi l'une chez l'autre et passé la matinée ensemble. Ca faisait vraiment longtemps. J'aperçois Reflet qui me sourit depuis le grand miroir marocain du couloir.

"Qu'est-ce qu'il y a ?"

"Oh rien" répond-elle, "c'est juste que tu as l'air vraiment heureuse ce matin, tu es rayonnante."

Je hoche la tête vers Hayat, qui discute avec sa mère devant la porte.

"C'est grâce à elle. Je suis contente de la retrouver, contente de l'avoir sauvée, j'ai l'impression que tout s'est arrangé."

"Le Monde-Brisé est toujours là, tout de même."

"Oui, ben même eux ne gâcheront pas mon plaisir. Ça a été une fin de semaine pourrie, mais là c'est le week-end et je suis heureuse."

Je trottine rejoindre Hayat sur le palier, et elle me fait un sourire rayonnant qui me transporte. J'embrasse profusément Mouna et nous partons après lui avoir promis de passer le bonjour à mes parents de sa part.

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