Chapitre 14 - Débâcle

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Je monte les marches, surexcitée par la nouvelle que je dois annoncer. Il est dix-huit heures, je pense qu'il a fini le travail. Je frappe, un peu tendue car nous ne nous sommes pas revus depuis l'autre nuit car il avait beaucoup de boulot. Contrairement aux jours précédents, son grand sourire qui me réchauffe le coeur à disparu. Je lui saute tout de même dans les bras pour l'embrasser et prendre le temps de respirer son odeur boisé qui me fait chavirer.

« Tu as l'air heureuse ! Comment c'est passé cette rencontre, raconte-moi. »

L'intonation de sa voix et son attitude m'inquiètent, on dirait qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Trop enflammé par ma nouvelle, je ne relève pas.

« C'était génial ! J'ai vraiment eu peur au début, il paraissait un peu froid et distant mais l'atmosphère s'est vite détendue. »

Je lui détaille alors mon entrevue, sans pour autant dévoiler la grande nouvelle pour le moment. Je parle vite et ne tient pas en place. Raphaël se met légèrement de côté et ne me regarde pas en face. En plus, j'ai l'impression qu'il ne m'écoute pas vraiment et n'intervient que par mouvement de tête, ce qui m'agace. Pourquoi fait-il ça ? Il se dirige vers son réfrigérateur et en sort une bière, sans me proposer. Puis, il vient s'assoir dans le canapé sans m'adresser un regard. J'essaye de faire abstraction et de ne pas lui montrer que son comportement m'exaspère et assène le coup :

« Raphaël, il m'a proposé de venir vivre avec lui. »

Toujours aucune réaction verbale. Bon sang, à quoi joue-t-il !

« Tu as perdu ta langue », dis-je en riant pour apaiser l'atmosphère.

Il plante ses yeux dans les miens cette fois, je ne l'ai ai jamais vu aussi noirs. J'ai l'impression qu'il me fusille avec.

« Non. Je trouve ça juste bizarre.

- Comment ça bizarre ? C'est mon père voyons !

Il s'emporte :

« Oui, bien sûr. Ce mec est une méga star aux États-Unis-Unis, il a déjà sa vie et là comme par hasard il accepte de te rencontrer alors qu'il n'a aucune certitude que tu es sa fille !

- Mais qu'est-ce que tu racontes ? J'ai son nez apparemment, je rétorque en m'apercevant que l'argument est faible.

- Tu es sérieuse en disant ça ? Tu t'es renseigné sur internet au moins ?

- Bien sûr, je ne suis pas idiote ! Mais je ne vois pas ce qu'il pourrait me cacher, sa vie est un livre ouvert dans la presse !

- Alors tu n'as pas vu que son dernier album solo, sorti il y a un mois à fait un bide total ? Tu ne trouves pas ça étrange, belle coïncidence !

- Mais enfin, c'est moi qui l'ai appelé, il ne savait même pas que j'existais. C'est toi même qui m'a poussé a l'appeler, je ne comprends pas ce revirement. Tu délires complètement Raphaël.

- Et comme par hasard, il t'invite à venir vivre avec lui. Je vais te dire ce que je pense, il se sert de toi. Il sait très bien que le monde médiatique va s'emparer de l'affaire, tu vas être sous les feux des projecteurs et ça va créer un buzz énorme ! Crois-moi, je travaille dans le milieu de l'édition, ce n'est pas si différent que celui des maisons de disque. Le poids du marketing est le même ! »

Je le dévisage, estomaquée. Qui est ce garçon en face de moi ? Je ne reconnais pas ses traits, crispés sous l'effet de la colère, ni sa voix étonnamment forte. Je n'arrive pas à croire qu'il pense réellement ce qu'il dit, ce n'est pas possible. C'est une conjoncture de situations étrange évidemment, mais je ne peux pas imaginer une seconde que Mike fasse ça pour le buzz. Il avait l'air tellement sincère tout à l'heure.

« Tu veux savoir ce que je pense Raphaël ? Tu es jaloux et tu ne supportes pas que je le choisisse lui plutôt que toi !

- Et bien non figures toi ! Je commence à croire que tu n'en as rien à faire de nous, je croyais qu'on avait quelque chose de spécial et toi tu laisses tout partir en fumé sans réfléchir.

- Là, tu es méchant. Tu sais très bien que j'ai souffert toute ma vie de l'absence d'un père et maintenant que je l'ai retrouvé, je ne compte pas le laisser filer. Tu crois que je n'ai pas pensé à toi ? Ni à Léna ?

- Non, c'est exactement ça. Tu as pris une décision égoïstement, je pensais au moins que tu allais m'en parler avant d'accepter. Je suis sensé faire quoi moi ? Attendre que la gentille Anha se décide à rester là-bas ou à revenir ? Et bien non, je ne vais pas rester à Paris comme un con. Je te préviens, si tu pars Anha, je tourne la page. Ce sera fini. »

De toutes les phrases blessantes qu'il a prononcé jusqu'ici, c'est celle-ci qui me fait le plus de mal. Je ressens une vive douleur dans ma poitrine et les larmes me montent aux yeux. Ne pleure pas Anha, ne pleure pas. Il me juge du regard avec un air de défi.

« Tu es content de toi ? Tu le penses vraiment ou c'est ta fierté qui parle ?

- Je le pense sincèrement en effet. Je ne comprends pas pourquoi tu gâches tout au moment où notre relation se concrétise. Tu ne t'ai pas préoccupé de ce que je pouvais ressentir, ni de ce que je voulais.

- Alors pars avec moi, je le supplie les larmes aux yeux.

- Il en est hors de question. Je ne vais pas tout quitter, mon boulot de rêve, ma famille, mes amis, mon appartement. En plus, je te rappelle que je ne roule pas sur l'or, mon père n'est pas une superstar.

- Je peux lui demander, il acceptera sûrement de te payer un billet d'avion... je tente.

- Non mais tu t'entends Anha ! Ca y'est tu as déjà oublié la valeur de l'argent. En plus, je ne veux pas devoir quoique ce soit, c'est non. Tu aurais dû penser à tout ça avant.

- Mais peut-être que ce n'est qu'une question de mois...

- Là n'est pas le problème ! C'est ta façon de faire qui me gêne, je ne te connais pas si bien que ça en fait.

- C'est vraiment ce que tu penses ? C'est ton dernier mot, si je pars c'est fini ?

- Oui et ce ne sera pas la peine de m'appeler ou de frapper à ma porte, je ne répondrais pas. Je suivrais ta nouvelle vie new-yorkaise à travers les tabloïds, ou pas d'ailleurs je m'en fiche. Au revoir Anha, j'ai été heureux de te connaître et on aurait pu vivre une belle histoire d'amour, j'en suis sûr. »

Sur ces mots, il se lève et me montre la porte. Je comprends qu'il me donne congé, un congé sans solde. Je me dirige vers la porte, je retiens difficilement mes larmes. Sur le pas de la porte, je me retourne une dernière fois pour capter son regard mais il me tourne délibérément le dos. Je rentre dans mon appartement et éclate en sanglots. 

Manhattanhenge (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant