III

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Les cours défilent les uns après les autres, sans que je ne puisse les voir passer. Les jours s'accumulent dans le temps, et mes questions restent toujours ancrées dans mon esprit, depuis l'étrange appel de mon père.

Les mains contre mon bureau de la salle de classe, je fixe intensément l'horizon par la fenêtre, alors que mon professeur s'amuse à étaler un exemple de la leçon du jour. Ma voisine, Elizabeth, s'investit à cœur joie dans les paroles de l'instructeur, et marque chaque mot dans son cahier.

Je prends une grande inspiration, et pose mon dos contre le dossier de la chaise en bois. La sensation d'être observée se faufile jusqu'à mon corps, et je n'arrive pas à le retirer. Je détourne mon regard de la fenêtre, pour le laisser se glisser sur chaque élève de la pièce, avant de tomber sur le nouveau. Ses yeux marrons sur les miens, un rictus au coin des lèvres, il ne me quitte pas un instant. J'avale difficilement ma salive, et fronce les sourcils. Que me veut-il ?

Il passe une main dans ses cheveux bruns, et se penche sur sa table, croisant ses doigts ensemble. Je n'arrive pas à me décider sur sa personne. Je n'arrive pas à comprendre comment il fonctionne, comment il réfléchit, ce qu'il pense, ce qui se passe dans son esprit. Il laisse une certaine aura mystérieuse s'échapper de son corps, et je dois avouer que ma curiosité se manifeste à chaque fois que mes yeux se posent sur son être.

Deux semaines qu'il est arrivé, et son prénom court déjà dans les couloirs. Toutes les filles ne parlent que de lui, s'arrachant même les chignons pour savoir qui deviendra sa prochaine petite-amie. Deux semaines. C'est le temps qui a fallu pour qu'il devienne le roi de cette école, pour que tous les professeurs soient à sa merci, ainsi que le directeur. Il arrive à mettre tout le monde de son côté, même mes amis, sauf une : moi. Une partie de mon esprit me crie qu'il n'est pas bon, qu'il n'est pas honnête, et qu'il cache bien plus qu'il ne veut laisser paraître, et pourtant une autre partie de ma personne me souffle qu'il ne doit pas être aussi mauvais, s'il arrive à être ami avec autant d'élèves. Encore une fois, j'arrive au même point. Je ne sais pas quoi penser de lui.

Un soupir s'échappe de mes lèvres, et je décide, après une longue hésitation, de tourner mon regard, qui se pose sur la fenêtre. Je sens ses pupilles glisser sur mon corps, laissant une chaleur sur chaque partie de ma peau. Un frisson se faufile sur mon rachis, jusqu'à se répandre sur chaque parcelle de mon être. La sonnerie me sauve d'une certaine asphyxie. Je m'empresse de ranger mes affaires, jette mon sac sur mon dos, attrape mon manteau, et je m'enfuis hors de la salle de classe, sous les protestations de mon professeur. Les mains dans les cheveux, je tire sur les racines. Mes jambes frappent le sol, entraînant une vibration de mon corps à chaque coups. Je m'arrête devant mon casier, et je fronce les sourcils lorsqu'une élève pénètre dans les toilettes pour fille, une main sur son ventre et l'autre sur sa tempe. Mes yeux quittent la porte, et se jettent sur le sol. Une boule se forme dans le fond de ma gorge, lorsque je comprends que la flaque qui se trouve au sol est du sang. La lèvre inférieure entre les dents, je m'avance vers les toilettes, le cœur battant. Je pousse la porte dans un silence, et découvre la fille assise sur le sol, le dos contre le mur rose au fond. Son visage est bouffie, recouvert de larmes.

Lorsqu'elle se rend enfin compte de ma présence, et s'essuie les joues, puis essaye de se lever, manquant de tomber plusieurs fois. Elle se retient de justesse au lavabo, puis pose sa main son son ventre, alors que le sang s'écoule de son abdomen. Ma bouche s'ouvre un instant, et mon cœur se serre. L'envie de vomir se ressent de plus en plus dans mon corps, et je prends sur moi pour ne pas rejeter mon déjeuner.

“Est-ce que ça va ?”

J'ai envie de me frapper. Est-ce que ça va ? Bien sûr que non ça ne va pas, elle perd son sang merde.

Je m'approche d'elle. Ma respiration devient irrégulière, se calquant sur celle de la fille. Ses yeux bleus rencontrent les miens. Elle sort un papier de son jean, et me le lance avant de sortir en courant des toilettes. Je reste un instant dans la même position : les mains dans le vide, mon sac sur le dos, le visage pâle et le regard vide, puis je reprends conscience. Je m'agenouille, attrape la feuille et la déplie.

« Aide-moi. »

Je n'attends pas une seconde, et je m'empresse de sortir des toilettes, à la recherche de la fille. Je la vois disparaître derrière les grandes portes de sorties du bâtiment H. Je parviens à la rattraper, avec beaucoup de mal. Elle se tourne vers moi, un sourire au visage. Elle s'avance vers la route, alors que je m'approche un peu plus d'elle. Le vent se lève, laissant ses cheveux s'envoler dans le vide. Un pas de plus vers elle, la bouche ouverte, je m'apprête à lui dire que je suis là, mais elle recule un peu plus pour finir sur la route. Son corps frappe  et s'étale sur le sol, près de la voiture noire. Mes muscles se crispent, ma mâchoire se tend, et ma tête tourne. C'est quoi ce putain de merdier ?

Trois heures. Trois heures que je suis assise sur cette chaise en métal, dans cette salle lugubre, attendant sagement que quelqu'un vienne m'expliquer ce qui se passe.

La porte d'entrée s'ouvre enfin, sur une vieille femme. Elle passe nerveusement ses doigts dans ses cheveux roux, et j'en déduis que c'est sa première fois. On est deux comme ça.

Elle pose un dossier sur la table, puis prend place en face. Ses épaules se lèvent et se baisse au rythme de sa respiration, bien trop rapide. Son visage est pâle, presque translucide, ce qui est en contraste avec son rouge à lèvres rouge et ses yeux verts. Elle croise les jambes sous la table, puis ouvre le dossier. Elle laisse une photo glisser jusqu'à moi.

“Connaissiez-vous Sarah Claudis ?”

Je secoue la tête, après avoir regarder un nombre incalculable de fois son visage.

“Mademoiselle Lockwood, vous êtes la dernière à lui avoir parler.”

Ma gorge se serre, et mon ventre se creuse au souvenir de son corps percutant la voiture.

“Que s'est-il passé ?”

La douce voix de la femme me met à l'aise, et je laisse mes souvenirs prendre forme. Mes mots s'enchaînent les uns après les autres, alors que ma vue se brouille. Les larmes forment un voile devant mes yeux, que j'essaye de faire disparaitre.

Le visage apeuré et triste de Sarah ne quitte pas mon esprit. Je n'arrive pas à fermer les yeux, sans me rappeler une minute de ce moment. 

“Bien.”

La femme se lève, puis m'ordonne de sortie de la salle d'interrogatoire. Elle pose une main sur mon épaule, soutenant que tout ira bien pour moi. J'acquiesce d'un hochement de tête, puis je m'empresse de quitter la pièce, suivie de près par mon interrogateur.

Mon visage se tourne vers le fond du couloir, et mon cœur rate un battement. Des cheveux bruns, des yeux marrons perçants. Jules. Putain.

SHOOT ME [Réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant