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" Le vol CL6766 est prêt à décoller, merci de vous diriger vers l'embarquement "

Cachée sous un abri de bus, mon billet à la main, je jaugeai du regard la foule qui m'entourait. Profitant du fait que personne ne faisait attention à moi, je me faufilai hors de ma cachette pour atteindre l'avion. Je marchais tête baissée pour ne pas que l'on ne me reconnaisse, enfonçant mon bonnet le plus possible sur mon front. Je relevai la tête pour tenter de distinguer là où j'allais et, évitant de justesse un chien qui s'échappait de l'emprise de son maître, laisse au vent, celui-ci me bouscula en courant après son toutou. Qu'est-ce que ces Parisiens pouvaient-être mal-luné lorsqu'ils étaient pressés.J'accélérai le pas, slalomant entre les bancs, les tas de crottes ou encore les bagages déposés par terre, inconsciemment, par les passants. En parlant de bagages, je n'avais absolument rien. Pas le moindre petit sac. Mais j'avais de l'argent c'était déjà ça et j'irai faire les boutiques, j'en bavais littéralement. N'étant pas très sportive, j'avais déjà un point de côté, je m'assis donc sur un banc libre pour reprendre mon souffle. Personne ne faisait attention à moi et tant mieux.

« Mesdames, Messieurs, le vol CL6766 s'apprête à s'envoler pour Nice, merci de vous rendre en salle d'embarcation »

Oh non, il ne s'envolera pas sans moi. Je bondis sur mes jambes et courus en direction de cette fameuse salle d'embarcation. Une silhouette noire apparut brusquement de derrière une voiture et me fonça dessus, je tentai de l'éviter mais trop tard, elle me donna un violent coup d'épaule et m'envoya goûter au béton du sol. Ma tête émit un bruit inquiétant lors de la collision et je vis noir.

Je me réveillais, une douleur lancinante à la tête. Je scrutai les alentours pour tenter de me souvenir où j'étais et qui j'étais, mais réfléchir me faisait encore plus mal au crâne. J'étais allongée par terre au milieu des passants, et comme d'habitude personne ne faisait attention à moi. Un homme avec un petit chapeau et une énorme valise me regarda avec indiscrétion, je le regardai à mon tour dans les yeux quand tout me revint. Je m'appelle Emma, j'ai quinze ans et je suis seule au monde. Bon, d'accord, dire que je suis seule au monde alors que je me trouve dans un aéroport rempli de passants est un oxymore, mais c'est la vérité. La raison de ma présence dans cet endroit me revint à l'esprit, tel un coup de fouet en pleine figure. À cette heure-ci, j'étais probablement recherchée.

Je ramassai mon bonnet qui gisait par terre et me relevai prête à prendre mon avion. Mais je sentis ma tête tourner et je me raccrochai au poteau le plus près ; je devais avoir une belle ecchymose. Combien de temps étais-je restée par terre ? Mon avion avait sûrement déjà dû décoller. Marmonnant des injures dans ma barbe et pestant contre cette personne qui m'avait bousculée, voire même assommée, je jetai un rapide coup d'œil à mon billet.

Je m'arrêtai brusquement. Ce n'était pas mon billet que je tenais dans la main mais un vulgaire bout de papier. Effarée, j'écarquillai les yeux et renfonçai mon bonnet sur mes longues boucles brunes, me dirigeant vers les toilettes publiques. Je m'y enfermai à double-tour et me laissai glisser contre la porte. Mon cœur battait la chamade dans ma poitrine, je rêvai ce n'était pas possible autrement. J'examinai mon billet, ou plutôt le morceau de papier, que je tenais dans la main. Mais à part les initiales « CL » inscrites à la plume en bas à droite du rectangle blanc, rien. Je ne connaissais personne portant ces initiales, mais en tout cas, la personne qui m'avait fait tomber et celle qui avait échangé mon billet était très certainement la même.

J'étais dégoûtée, j'avais tout planifié, depuis des mois. Bastian, un ami, m'avait dégoté le billet d'avion le moins cher qu'il avait trouvé, je devais aller à Nice. J'aurais pris un hôtel, je savais exactement lequel, pendant quelques jours. Évidemment, il y aurait eu un problème d'âge, mais Bastian avait réussi à falsifier ma carte d'identité et avec un peu de maquillage le tour aurait été joué. J'allais partir loin de Paris. Le plus loin possible.

Mais tout ça s'était trop tard, je me forçai à ne pas craquer. Les larmes brouillaient ma vue mais je ne les laissai pas s'échapper. Je n'avais pas le droit de dépenser mon argent dans l'achat d'un autre billet, je ne connaissais rien aux tarifs. Plutôt faire du stop, même si c'était dangereux, que d'utiliser mon argent pour, au final, arriver dans un lieu que je ne connaissais pas. Car je doute que les avions partant pour Nice couraient les rues et de toute façon je ne voulais aller nulle part ailleurs que là-bas. Cet argent, c'était celui que l'on nous donnait chaque mois à partir de nos douze ans. C'était peu, mais bien utilisé ça pouvait servir. Cela faisait deux ans que, chaque mois, je mettais mon argent de poche de côté.
Je poussai un soupir de soulagement, au moins j'avais encore mes sous. Comme pour me rassurer, je passai ma main dans la poche de mon blouson. Soudain, je me crispai. Mon porte-monnaie... il n'était plus là. Je me levai brusquement et retournai mon blouson dans tous les sens. Je le cherchai frénétiquement, mais au bout de cinq minutes à me dandiner pour tenter de le retrouver, je me rendis à l'évidence. Je n'avais définitivement plus rien du tout.

Là, je n'avais plus envie de pleurer, j'étais plutôt en colère. Je remis mon blouson, l'enfilant lentement, manche par manche au cas où ma bourse se serait glissée dedans. Mais rien. Il n'y avait rien. J'enfilai mon bonnet et poussai un soupir de consternation. Je tirai la chasse d'eau pour faire bon genre et sortis des toilettes, non sans avoir claqué la porte.

Et voilà qu'un stupide inconnu venait de me voler mes espoirs de commencer une nouvelle vie.

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Coucou et merci à ceux qui ont lu ❤👀 En espérant que vous ayez aimé 😅

Emma SiltonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant