VIII.

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Alors que mon weekend commençait une nouvelle fois sur un échec, je dus me résoudre à rentrer chez moi. Le vent soufflait de plus en plus fort, et une pluie soudaine vint m'alerter qu'il fallait que je me dépêche si je ne voulais pas finir trempé. En courant en direction de chez moi je percutai néanmoins quelqu'un, ce qui contra mes plans de vite arriver à la maison. Je manquai de peu de tribucher sur une chic dame d'environ une quarantaine d'années grand maximum. Elle portait de grandes et rondes lunettes qui mangeaient la moitié de son visage, fin et aux traits réguliers et un carré ondulé aubrun au dessus de ses épaules. Elle me rappelait quelqu'un...

-Excusez-moi Madame.
-Oh ce n'est rien va, dis-moi plutôt si tu n'as rien.

Elle se baissa grâcieusement pour ramasser ses courses, et son sac, et je l'aidais en répondant d'un signe de tête.

-Oh une sangle a cédé. Ce serait trop te demander bonhomme de m'aider à porter tout ça jusque chez moi? Je n'habite pas loin mais je ne voudrais pas non plus te retarder, tu as l'air pressé, dit-elle avec une voix douce, presque maternelle, accompagnée d'un petit sourire.
-Non ne vous inquiètez pas je cherchais juste à m'abriter.
-Eh bien viens donc! Je tiens un salon de thé avec une amie au bout de la rue, je serais ravie de t'offrir une boisson chaude et quelques gâteaux.
-Je n'en demandais pas tant, fis-je poliment mais un peu embarrassé.

Je portai l'un des plus gros sacs et marchai près d'elle en suivant la route qu'elle m'indiquait. À trois rues de là, se trouvait bel et bien un coquet salon aux vitrines généreuses de pâtisseries et spécialités locales avec, sur le côté, un espace détente pour ses dames, qui aimaient y prendre le thé. Je suivais la dame dont je ne connaissais ni le nom ni le prénom derrière le comptoir, où elle me pointa une place où poser toutes ses charges. Elle me remercia avec un sourire bienveillant, me proposant de m'asseoir près du radiateur pour me sècher et me servit un thé à la crème et aux fruits rouges. Je n'avais encore jamais goûté.

-Oh fait, moi c'est Lizbeth et toi?
-Maman t'es rentrée? Fit une voix du haut d'un escalier à spirales juste derrière moi.

Des pas se firent entendre sur les marches de métal. Lizbeth releva la tête en répondant oui à ce qui semblerait être son fils. Lorsque celui-ci nous fit face, mon impression de déjà-vu sonna comme une évidence.

-Jo..Joshua?
-Oh Rex! Je ne savais pas que tu fréquentais ce genre d'endroits, ricana-t-il en me faisant un clin d'oeil espiègle.
-Ne dis pas n'importe quoi, rit Lizbeth en le tapant gentillement derrière la tête. Va plutôt aider ta sœur dans ses devoirs!
-Oui maman, répondit-il toujours en riant, en se dirigeant vers une petite table, où une petite fille d'environ cinq ans coloriait sagement en balançant des pieds sur sa chaise trop haute.

Et malgré l'évidente chaleur que m'apportait le radiateur sur lequel j'étais presque adossé, une autre forme de chaleur qui émanait de l'ambiance de la pièce m'embauma le cœur et me serra la poitrine. Alors que mon regard se perdait sur les murs bleu et taupe avec les décorations mêlés de dragés et de galets de toutes couleurs et tailles, deux petites couettes brunes s'agitèrent devant moi.

-Hé! Tu veux voir mon dessin?
-Annie, arrête d'embêter Rex.
-Rex? Comme le chien du dessin animé? C'est rigolo!
-Tais-toi et retourne colorier tes conneries.
-Oh! Maman! Joshua il a encore dit un gros mot! s'enfuit-elle en courant vers le comptoir.

Joshua prit place à côté de moi, une petite bouteille de lait sucré à la main.

-Je suis désolé. Elle est pas très fufute des fois.
-Elle a 5 ans. J'étais pas plus malin qu'elle à cet âge, répondis-je une main sur la nuque.
-Tu veux quelque chose?
-Non c'est bon. Tu remercieras ta mère pour les gâteaux, le thé et l'hospitalité.
-Oh c'est rien. Offert par la maison.
-Je dois y aller, ma mère doit encore se demander ce que je fais.
-Comme toute mère...souffla-t-il avec un sourire en regardant sa mère s'affairer à satisfaire tout le monde. Et c'est pour ça que je ferai aussi tout pour elle...

Je me levai brusquement en emportant un muffin au chocolat au passage et courrai jusque chez moi. Cette chaleur, cet amour. Cette sécurité et ce réconfort. En voyant la mère de Joshua, j'avais tout de suite été frappé par sa douceur et son sourire bienveillant. Mais soudain une réalité affolante me fit face. Depuis combien de temps ma mère avait l'air d'avoir abandonnée son rôle? Depuis quand je n'avais pas partagé une vraie conversation avec elle tout ce qu'il y a de plus banal? Depuis quand avait-elle totalement arrêté de faire semblant de sourire en prétextant que tout allait bien. J'avais beau haïr mon père d'être parti sans explication, j'haïssai encore plus ma mère de ne m'avoir rien expliquer, de s'être laissée abattre par ce fantôme du passé, mais surtout, de m'avoir abandonné. Mais qui de nous deux se sentait le plus seul? Qui a abandonné qui?

-Maman! Criai-je en ouvrant grand la porte de la maison.

Je la cherchais dans toutes les pièces de la maison mais fis vite le tour. Ah oui, la cuisine! Derrière le bar, près du four, assise par terre, ma pauvre mère perdue, les yeux grands ouverts, recroquevillée sur elle-même.

-Je suis désol...-
-Nan maman. C'est à moi de m'excuser. Je... Depuis que Papa est parti je me suis juste éloigné de toi. Je n'ai même pas cherché à savoir comment tu allais ou pourquoi c'était devenu comme ça. Je te traitais juste comme mon alcoolique de mère impuissante qui m'a abandonné à cause d'un pauvre type. Mais, maintenant j'ai compris quelque chose. Même en sortant tout le temps de cette maison et en trainant dans la rue, tu t'inquiètes toujours de savoir si je vais rentrer ou pas sain et sauf à la maison. Et tu ne bois jamais et ne craque jamais devant moi. Tout ce temps je n'ai fait que te fuir alors que tu me protègeais comme tu pouvais. Alors Maman s'il te plait arrête d'être seul parce que... Je suis ton fils et je suis là.

Et pour la première fois depuis presque 8 ans, Juliet me regarda avec fierté et gratitude. Elle me serra fort dans ses bras et j'eus le délice d'apprécier à nouveau et ce, depuis longtemps, la chaleur et l'amour de ma mère...

REXOù les histoires vivent. Découvrez maintenant