Chapitre 33 (corrigé)

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En temps normal, Dageus trouvait les églises apaisantes. Pleines d'un silence dont le monde était dépourvu et qui lui donnait la force de retrouver son calme. Cependant, son esprit ne cessait de remplacer cloué sur une croix par sa Vanadis ou carrément lui-même. Une symbolique qui ne lui échappait pas et qui ajoutait un poids supplémentaire sur ses épaules.

« Comme si j'avais besoin de penser à ce genre de connerie ! »

Dageus se leva du banc sur lequel il restait avachi pendant que Fark terminait de réunir leurs troupes et de déterminer où emmener les blessés et les morts. Il prenait en charge une tâche qui lui incombait parce qu'il connaissait les troubles qui rongeaient l'Odin.

« Qui, mieux que le Seigneur des Wiks, peut comprendre ! »

Ce n'était ni la franchise ni le pardon qu'il recherchait mais bien la camaraderie ainsi qu'un lien indéfinissable et indestructible. Un lien grâce auquel quelqu'un, n'importe qui, se serait aperçu de son absence, de son passage sur cette terre trop petite pour l'accueillir et lui consentir de vivre longtemps.

Jerry l'avait pourtant mis en garde.

« Nous payons notre puissance et notre vie ! Alors ne te repose pas sur tes lauriers car rien ne te sera jamais acquis !»

Wyatt et Heilin incarnaient ce lien qu'il espérait depuis tant d'années. Et aujourd'hui, sa putain de malédiction tentait de les lui voler.

Ses mains serrèrent sa tête douloureuse. Il ignorait comment s'y prendre pour éviter la faucheuse qu'il décelait à l'horizon de leurs existences.

– Ils t'attendent Odin.

Dageus jeta un regard lasse à Matt. Il étendit son dos puis l'église jusqu'aux groupes de combattants. Il n'avait pas le luxe du choix ou de l'hésitation. Wyatt, sa chair et son sang, comptait sur lui. Il ne pouvait se résoudre à l'abandonner. Ce n'était pas une simple attache de frère à frère, c'était bien au-delà de cela. Plus jeune, sa disparition manqua de le rendre assez fou pour songer au suicide. Il veillait sur lui depuis sa naissance, il était son protecteur. Si leur retrouvaille restait un moment douloureux pour lui, voir les yeux émeraudes de son cadet s'illuminer quand ils se rencontraient dans leurs appartements valait tout l'or du monde.

L'air frais éclaircit ses pensées ombrageuses. Le soleil perçait ci et là le ciel noirâtre.

Plus rien ne subsistait de Broadway à part Marine Midland Bank, l'église et une petite maison délabrée. Un véritable exploit au vu des dégâts de la magie sur cette partie de Helldown.

– Toujours aucune nouvelle ?

Dageus secoua la tête négativement. Il ne ressentait qu'un vide à la place du cœur.

L'épouse de Fark déposa une tasse de thé devant lui quand il prit place sur le dernier siège libre autour de la table en verre. A part un morceau de comptoir, rien ne laissait imaginer que cet endroit ait pu, un jour, abriter une banque nationale ouverte à une foule de personnes tellement différentes les unes des autres.

L'Odin fixa le katana enchaîné au fond de la salle. Sa lumière brillait fortement sous les nombreux morceaux de sortilèges protecteurs.

– Je croyais qu'Amaterasu dormait, commenta un jeune japonais aux cheveux teintés d'orange vif.

– Elle s'est réveillée, il y a de ça quatre heures.

– Le début de la bataille, grimaça Dageus.

Fark acquiesça aussi grave que lui. Le mage, le plus érudit de toute sa génération, ne trouva aucune explication à leur fournir quant à la raison de ce phénomène. Amaterasu ne prenait vie qu'au cours de moments clés de l'histoire, pour défaire les démons qui ravageaient le Japon. En dehors de son pays d'origine, l'arme restait silencieuse. Au milieu d'autres katanas, il n'y aurait eu aucun moyen de la différencier.

L'Odin ne prit pas part à la discussion qui anima les mages et ses propres hommes. Matt parlait fort et vite, mais Dageus ne pouvait dévier son regard de l'arme solaire. Il se sentait attiré. Quand le silence tomba enfin et qu'il ne resta que quelques personnes occupées à discuter entre elles, il s'approcha. Malgré les nombreux talismans, l'énergie pulsait par vagues. La sérénité s'empara de lui. Il se revoyait enfant courir devant ses parents sous un soleil de plomb au bord d'une mer dont il ne se souvenait pas du nom.

« Dageus ! Dageus ! »

Le hurlement le fit sursauter. Il se tourna, le cœur fou, à la recherche de cette voix glacée de terreur. Personne ne lui prêtait attention. Ses paupières papillonnèrent trop rapidement. Un mal de crâne pointa le bout de son nez.

« Ils ont tué maman et papa ! Dageus ! Aide-moi ! »

Le tigre ferma les yeux et laissa les souvenirs affluer. Ce fameux jour... La fin de toute son existence.

Ses parents ne restaient jamais au même endroit bien longtemps. Habitué aux déménagements, Dageus ne gâchait plus son énergie en pleure et crise de larmes. Du haut de ses dix ans, il comprenait tous leurs efforts pour rendre sa vie désordonnée aussi sereine que possible. Ils le cajolaient, l'adoraient, lui passaient beaucoup de caprices sans jamais le laisser devenir un enfant tyrannique. Et puis, une nouvelle donne arriva : l'accouchement de sa mère. D'abord perplexe et un peu gêné à l'idée de partager sa mère et son père avec un autre, il comprit vite qu'un frère ou une sœur lui permettrait de se sentir moins seul. Ils joueraient ensemble. Ils prendraient soin l'un de l'autre. Tout ce qui lui manquait quand les adultes partaient travailler.

Bien sûr, il se souvenait de Heilin, son amie imaginaire, rapidement devenue « sa camarade de rêve », mais il ne pouvait pas la toucher, elle n'était à ses côtés que trop rarement pour qu'il puisse se reposer sur elle.

Wyatt arriva du jour au lendemain. Un affreux bébé tout rond qui hurlait sans arrêt sauf quand il mangeait ou dormait. Un minuscule petit être dont il prenait soin quand sa mère ne le pouvait pas.

« Quand on a été plongé dans les abîmes de la solitude, la chaleur humaine devient l'unique nourriture dont on se gave ou dont on se protège à l'extrême. » disait son père face à son incapacité à lâcher cet enfant menu et si fragile.

Alors Wyatt représentait son havre de paix. Cet endroit dans lequel il pouvait déverser son trop plein de sentiments. Il en avait à revendre.

Il est mon soleil au même titre qu'Heilin, comprit-il.

La lumière s'estompa. Le retour à la réalité fut douloureux. Ses doigts restaient crispés telles des serres sur le manche d'Amaterasu.

– Je n'aurais jamais parié qu'elle te choisirait.

Dageus dévisagea Fark. Il s'appropriait un artefact de mage et ce dernier souriait paisiblement.

– Amaterasu a toujours aimé les gens qui ont à cœur de protéger les leurs.

Le souverain des mages se détourna pour revenir à sa conversation avec ses généraux. L'Odin avisa l'arme scintillante et tellement banale à présent. Il secoua les manches de sa chemise noire couverte d'une fine poussière.

– Le seigneur des wastes avec une arme d'humain, c'est une vision étrange, commenta Matt.

– Pas moins que celle d'un ami qui en renie un autre alors qu'il lui a juré fidélité.

Le léopard accusa le coup. Dageus aussi. Son regard se porta sur l'arme. Il connaissait les rumeurs qui couraient sur les instruments créés par les mages mais il n'y croyait pas jusque-là. Amaterasu possédait donc bel et bien la capacité d'ôter toute envie d'omission ou de mensonge chez son porteur.

Dites la vérité rien que la vérité, se moqua-t-il.

Sa curiosité implosait, il se demandait ce que le katana attendait de lui exactement.  

Helldown #2 - Ville de glaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant