Néria

la lumière- 5

— Néria ? Je savais bien que c'était toi ! Qu'est-ce que tu fais ? C'est quoi cette lumière ?

— Cléia ! Néria poussa un soupir de soulagement en voyant entrer sa meilleure amie. Tu m'as fait peur... Chut... Ne fais pas de bruit. Je t'expliquerai plus tard. Il faut que je rebouche tout de suite ce trou. C'est une sortie vers l'extérieur. Cette lumière, c'est celle du soleil. J'ai besoin d'algues et de sable pour fabriquer du ciment et ainsi cacher aux autres cette porte de sortie. Tu veux bien m'aider ?

Cléia regarda son amie avec horreur.

— T'es folle ou quoi ? s'exclama la rouquine aux boucles folles. Le soleil va brûler ta peau et te tuer. Les sirènes n'ont pas le droit de sortir à l'extérieur. Je vais appeler Enis pour prévenir les défenseurs. C'est leur boulot et celui des bâtisseurs, pas le nôtre.

— Ne fais pas ça, Cléia, s'affola Néria en s'approchant d'elle. Fais-moi confiance, je sais ce que je fais et je ne risque rien. Surtout, ne le dis à personne. Aide-moi, s'il te plaîîîîît.

Le visage de Néria se fit suppliant et sa moue implorante finit par convaincre son amie.

— Bon ! concéda Cléia, attirée malgré elle par la nouveauté de la situation et toujours prête à des expériences nouvelles. Je vais t'aider. Je vais dans la filtration du bassin chercher du sable et des algues mais j'exige que tu m'expliques tout en détails après. Ok ?

— C'est promis. Dépêche-toi avant que quelqu'un d'autre arrive.

Néria savait qu'elle pouvait faire confiance à sa camarade qui se ferait très discrète. L'excitation de la découverte la rendait nerveuse. Néria se mordilla la lèvre inférieure en réfléchissant.

Le trou se trouvait au-dessus du niveau de l'eau, comme autrefois. Elle devait s'employer à trouver un stratagème pour se hisser sans danger et ainsi pouvoir colmater la brèche. Elle finit par se résoudre à quitter la pièce pour rechercher un meuble mobile qui lui permettrait de s'élever.

Néria, comme toutes les sirènes, possédait une belle et grande queue de poisson bleutée, qui partait du milieu de ses cuisses. Les défenseurs ainsi que les bâtisseurs, plus forts et musclés, s'entraînaient à plier leur queue afin de se tenir le plus droit possible. Ils pouvaient ainsi atteindre aisément les parties les plus hautes de la grotte. Mais les sirènes ne s'entraînaient pas à ce genre d'exercices physiques, uniquement destinés aux tritons.

La grotte, où sa communauté résidait depuis des milliers d'années, avait été aménagée par des générations de bâtisseurs. Ceux-ci avaient conçu des aménagements creusés à même la roche. La partie basse était toujours plongée dans l'eau. Mais de grands rebords permettaient aux habitants de se hisser et d'évoluer en rampant sur un sol sec constitué d'immenses pierres polies par les années. Les équipements étaient donc peu déplaçables, à part les malles et les équipements des bâtisseurs qui se trouvaient dans leur section.

— Une malle ! C'est une malle qu'il me faut !

Cercéis allait forcément se poser des questions sur sa longue absence et se mettrait à sa recherche. En rentrant dans le box de travail, Néria simula donc un mal de ventre intense et demanda l'autorisation de quitter le cours afin de se reposer dans sa chambre. Aura et Chloris la regardèrent avec suspicion en chuchotant. Sa tutrice, toujours occupée à son prêche ne sourcilla pas et lui donna rendez-vous après le repas pour l'organisation des jeux de bassin destinés aux enfants les plus âgés.

La courageuse néréide fila vite vers la réserve et revint peu après avec une grosse malle sur son épaule et un gigantesque bénitier qui lui servirait de récipient pour fabriquer le ciment.

Néria espérait, à présent, que personne ne s'aventurerait dans ce coin reculé de la grotte. Il restait environ une heure avant l'heure du déjeuner. Elle retrouva Cléia qui l'attendait les bras chargés de paniers remplis de mauvaises algues et de sable épais et poisseux.

Après avoir remercié chaleureusement son amie, elle se mit sans tarder à sa tâche, pensant avec affection à son ancienne tutrice, Thétis, qui lui avait appris à fabriquer ce ciment. Cléia devait retourner auprès de sa formatrice et laissa Néria seule à son ouvrage. Le cœur de cette dernière palpitait à chaque clapotis, à chaque bruit infime. Elle ne voulait pas laisser passer une chance pareille. Son acharnement à combler l'espace vide décuplait au souvenir de la chaleur qu'avait provoquée le soleil sur sa peau.

Absorbée par sa tâche, elle sursauta en entendant la voix d'une tutrice qui approchait. Elle reconnut la voix d'Héline qui discutait avec une autre sirène. Néria était sur le point de finir et paniqua à l'idée d'être aperçu ainsi, du ciment sur les mains et dans les cheveux, perchée en haut d'une malle. Cependant, la voix qui prit ensuite la parole la rassura. En fidèle amie, Cléia flattait, à présent, la tutrice qui se dirigeait vers le spa.

— Vous êtes vraiment très douée pour les marionnettes, Héline, la félicita la jeune néréide avec une voix suave. J'ai beaucoup aimé, hier soir, votre façon de raconter l'histoire d'Héra qui découvre que son mari Zeus l'a encore trompée. Vous êtes très forte pour mimer Héra en colère ! Pourquoi les dieux font-ils des choses aussi horribles ?

— Cléia, notre communauté tire des enseignements de ces histoires, argumenta la tutrice ravie du compliment. C'est grâce à elles que nous avons établi des règles très strictes qui nous permettent de vivre mieux. En conséquence, tout débordement d'émotion est strictement interdit pour éviter les conflits. Toute relation trop intime également. Les Dieux nous montrent ce que l'on doit absolument éviter et toutes les aventures divines que nous racontons aux plus jeunes ont un sens pédagogique. Si cela t'intéresse, Cléia, je pourrais t'enseigner l'art de raconter les histoires des dieux au travers des marionnettes.

Les éloges de Cléia amadouaient apparemment Héline qui se mit ensuite à donner des informations techniques sur la manière de fabriquer les marionnettes avec des algues souples et les coquillages multiples et variés. Néria ne s'attarda pas et s'activa de plus belle. Cela lui laissa le temps de finir le rebouchage, de ranger et nettoyer rapidement les détritus, croisant les doigts pour que sa réparation de fortune tienne le coup et ne saute pas aux yeux des prochaines qui entreront dans la pièce.

Fière de son travail, Néria mit la malle contenant toutes les saletés sur son épaule et sortit du spa en lançant un joyeux « bonjour » plein d'entrain et d'insouciance. Cléia soupira de soulagement en souriant et en répondant à sa salutation. Héline ne semblait pas étonnée du passage de Néria avec son lourd équipement, pensant sans doute qu'elle venait remplacer les serviettes du spa. Elle répondit distraitement, elle aussi, à sa politesse matinale.

Cléia sourit intérieurement de l'aplomb de son amie, ce qui était une chose si rare chez les sirènes, plutôt disciplinées et soumises, de par leur éducation, aux règles de la communauté.

Or, la belle néréide venait de bafouer la règle n° 7 : « toute parole ou action suspecte doit être immédiatement signalée aux dirigeants des sections. Rien ne doit être caché à la communauté.»