CHAPITRE 1 : la lumière

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L'eau frémit. Des petites vaguelettes sinueuses se forment sur la surface. De l'écume s'accumule contre la paroi du spa. Un son perçant m'oblige à me boucher les oreilles. Je m'en doutais... Les baleines !

Une fois tous les trois ans environ, ces mystérieux cétacés flânent à côté de chez nous en poussant ces appels aigus, étourdissants et profonds. Leurs chants si particuliers me provoquent toujours des frissons d'excitation. Comme j'adorerais les voir un jour ! Il paraît que ces sortes de monstres bleus-gris sont énormes, effrayants mais parfaitement inoffensifs.

J'entends quelques bébés pleurer. Sans doute ont-ils perçu l'étrangeté de la situation ou la fébrilité des éducatrices présentes à leurs côtés. Je sais que la communauté entière restera sur le qui-vive pendant de longues minutes. Les habitants ont toujours peur de ce qui n'est pas prévisible, établi, organisé. Moi, j'espère sans cesse l'inattendu, la surprise, le changement qui ne vient jamais.

La grotte tremble légèrement. Cela arrive parfois quand une créature marine aussi imposante se frotte contre les roches extérieures qui nous enferment.

Je suis seule dans le spa. Les autres éducatrices sont toutes réunies pour donner le repas aux enfants... Je dois les rejoindre.

Des pierres s'effondrent autour de moi. Un trou béant se forme dans la paroi, juste au-dessus de la surface de l'eau. En m'approchant, je m'aperçois que je pourrais me glisser à l'intérieur. Il n'y a pas d'eau. Juste un tunnel sec dans la roche. La curiosité me pousse à dégager plus d'espace à l'entrée pour m'y faufiler. La lumière est si fascinante qu'elle semble m'appeler. Elle m'attire avec force. Je me hisse hors de l'eau. Ce sera compliqué de ramper à l'intérieur mais les sirènes sont tout aussi capables de vivre dans l'eau qu'en dehors.

J'avance dans la galerie. Ma queue me freine. Mes mains et mes bras s'écorchent. Je m'épuise vite. Après des minutes d'effort intense, au détour d'un virage, je suis subitement éblouie par une lumière extrêmement forte et puissante. Totalement aveuglée. Je me débats, paniquée. En avançant inconsciemment, je tombe sans pouvoir me retenir et me retrouve à terre, un mètre plus bas environ. Je ne vois plus rien. Je vais griller sur place. Tout ce qu'on nous apprend sur notre peau qui ne nous permet pas de vivre à l'extérieur me laisse croire que l'heure de ma mort est venue. Je prie Cymopole et je frissonne. J'imagine le Titan Hélios furieux au-dessus de moi. Pensant que je vis mes derniers instants, accablée et n'osant pas ouvrir mes yeux, je reste gisante pendant un temps indéfinissable. J'appréhende de bouger. J'attends le courroux d'Hélios.

Mais rien ne se produit. Je commence même à me sentir bien et à apprécier la chaleur sur mon corps. Je finis par entrouvrir les yeux et, petit à petit, j'entrevois des ombres, puis des formes plus nettes et enfin mes yeux peuvent voir vraiment ce qu'il y a de plus merveilleux au monde.

Je suis allongée sur du sable clair, doux et chaud. Un ciel immense s'étend à perte de vue, d'un bleu clair extraordinaire et lumineux. Au loin, il prend une teinte orangée-rouge extrêmement surprenante et magnifique, indescriptible. Cette immensité se reflète dans la mer qui se teinte de la même couleur. L'eau s'étale, calme et paisible, tellement belle ! Elle vient lécher les rochers sur le bord de la rive en clapotant doucement. Tout paraît si tranquille, si apaisant... Je suis couchée là, n'osant plus bouger.

Je rêve ?

Non. Ces couleurs présentes autour de moi, jamais je n'aurais pu les concevoir seule, ni les imaginer jusqu'à aujourd'hui. Il fait chaud. J'apprécie cette douce moiteur qui se répand dans tout mon corps, qui m'apaise et m'apporte beaucoup de douceur. Après avoir cru mourir, je vis le plus beau moment de ma vie. Mon corps ne prend pas feu, ne fond pas et ne part pas en morceaux. Je suis vivante comme jamais et tellement bien !



NériaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant