Néria

La lumière- 4

Perdue dans ses pensées, Néria ne prêtait plus attention à sa tutrice qui continuait sa leçon de morale :

— Vous savez bien entendu qu'il est interdit de se couper les cheveux mais vous devez aussi entretenir ceux-ci du mieux que vous le pouvez. Prenez exemple sur Aura. Nous, les sirènes, sommes en charge de la beauté, de l'entretien et l'éducation. Nos cheveux longs sont les symboles de notre féminité et liés au rôle qui nous est attribué dans la grotte. Notre devoir constitue à...

Un son profond et sourd sortit brutalement Néria de sa rêverie...Les baleines ! Elles étaient de retour ! La jeune éducatrice se mit à trembler d'excitation.

Cercéis continuait sa litanie sans se soucier du détachement de ses élèves. N'avait-elle pas entendu le chant des baleines ? Ou bien, les années passant, s'était-elle finalement habituée à leur passage ? Un tremblement des parois rocheuses acheva de mettre la jeune sirène en alerte.

Néria devait aller voir ! Au cas où... Et tant pis pour les risques qu'elle prendrait ! Que risquait-elle après tout ? Une remarque sarcastique ? Une de plus... Elle en avait pris l'habitude ! Elle se leva discrètement, se dirigea en nageant doucement vers la sortie quand une voix résonna.

— Que comptez-vous faire, éducatrice Néria, à gigoter ainsi ?

Néria fut obligée de prétexter une envie pressante pour pouvoir s'éclipser. Cercéis accepta, sans la réprimander, trop absorbée par le fil de son discours. Néria traversa la place de sa section, en toute hâte. La jeune néréide était une très bonne nageuse qui savait ne produire aucun son en se déplaçant. De ce fait, aucune autre sirène travaillant dans les box jouxtant le sien ne la remarqua.

La place était le carrefour central de sa section où se rejoignaient tous les couloirs menant aux chambres, à la salle des repas et au bassin des jeux. Ce lieu ouvert était également entourée de petits box qui permettaient de se retrouver à plusieurs pour travailler ou se détendre en fin de journée, après le coucher des enfants.

Dans la grotte où vivait toute sa communauté, aucune lumière directe ne venait de l'autre monde ; de grands puits tortueux creusés dans la roche procuraient une semi-obscurité durant la journée, complétée parfois par des torches ou des lanternes de vers étincelantes.

En se dirigeant vers le spa, Néria sentit les parois trembler et entendit des bruits qui l'excitèrent encore plus. Elle remarqua un éclairage inhabituel en entrant dans la salle d'eau. Elle le savait ! Les baleines avaient provoqué une chute de pierres dans le spa comme deux ans auparavant.

Cela n'alerterait sans doute personne, mais le fin faisceau lumineux que percevait à présent la jeune sirène ne pouvait venir que de l'extérieur. Néria n'avait nullement l'intention de signaler à quelqu'un d'autre l'anomalie constatée. Elle savait pertinemment que des défenseurs seraient appelés immédiatement pour contrôler l'espace et fermeraient définitivement la salle d'eau d'où venait la lumière. Ensuite, ce serait les bâtisseurs qui occuperaient les lieux.

Or, Néria ne répéterait pas la même bêtise qu'autrefois !

La jeune sirène se sentait fébrile. Cette luminosité, elle ne l'avait vu qu'une seule fois. Elle décida immédiatement de prendre les choses en main. Il fallait qu'elle bouche elle-même le trou béant d'où s'échappait le faisceau afin de garder secret la voie qui lui permettrait peut-être un jour de s'échapper, ne serait-ce qu'un instant...

Sa communauté était tellement refermée sur elle-même que la jeune néréide avait l'impression d'être prisonnière. Il leur était interdit de sortir de la grotte. Seuls les défenseurs y étaient autorisés. De ce fait, Néria avait passé 17 ans au sein de la même section, dans les mêmes salles, dans les mêmes box, dans le même bassin, dans les mêmes couloirs, ne pouvant sortir que lors des jours de fête pour se rendre au forum ou exceptionnellement au conseil pour être questionnée ; si on excluait ce fameux jour des baleines, il y a deux ans.

Elle prit le temps d'observer l'ouverture laissée par la chute de quelques pierres qui jonchaient à présent le sol. Elle constata qu'en retirant une pierre voisine, cela suffisait à laisser passer son corps menu. Un long couloir à travers la roche avait été creusé et menait directement à l'extérieur, au vu de la brillante lumière qui en provenait, comme les fameux puits de lumière qui éclairaient sa grotte. Mais, contrairement à ceux-ci, le passage se faisait à l'horizontal, permettant à son corps de sirène de rejoindre facilement l'extérieur. Elle le savait puisqu'elle l'avait déjà emprunté.

En récupérant les pierres tombées au fond de l'eau, elle se mit à réfléchir. Il fallait colmater le trou avec les pierres puis fabriquer un ciment de la même teinte que les autres pour qu'on ne puisse le remarquer et suffisamment fragile pour qu'elle puisse le casser rapidement en cas de fuite.

Soudain, un clapotis se fit entendre derrière elle. Quelqu'un approchait. C'était fichu... Tout allait être découvert ! La seule issue de secours pour ne pas avoir de problème serait de jouer le rôle de celle qui venait à l'instant de découvrir la chose étrange qui venait de se produire.