Atropos (2)

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Une fois assise, Néria ferma les yeux, appréciant le calme et la douceur du lieu. Elle s'imagina que l'Olympe devait ressembler à cet endroit et ne put s'empêcher de faire le lien avec le soleil qui l'avait réchauffé, le jour de sa fuite à l'extérieur.

Elle repensa également au baiser d'Atropos. Elle sentait encore le doux contact chaud de ses lèvres sur sa joue. Elle s'efforça de penser que ce moment de bonheur devait rester à jamais gravé dans sa mémoire comme un instant de bonheur pur et rare. Un sourire s'installa sur son visage en repensant au trouble et à l'émotion ressentie avec Atropos. Ah ! Ce sentiment de bien-être, associé à la compagnie de ses amis !... Elle eut du mal à revenir à la conversation qui avait déjà commencé.

— ...et c'est pourquoi j'ai dû conduire Méléagre, poursuivait Théos. Je l'ai enfermé, malgré moi, dans une petite cellule où il ne pouvait faire que deux coups de queue pour avancer. J'ai entendu Amédé m'appeler, le défenseur qui avait avoué, à tous ses collègues, son amour pour Thétis, notre ancienne éducatrice. Il était dans une cellule voisine de Méléagre. Nous avons beaucoup discuté, tous les trois. Nous avons les mêmes points de vue concernant le commandement de notre communauté. Il nous faut absolument révolutionner tout cela. Il a cité quelques noms de membres pouvant nous aider au conseil. Il faut se rallier à Atiope !

— Atiope ? Qui est Atiope ? réagit immédiatement Néria

— Atiope est le nom d'une vieille organisation secrète, lui répondit le défenseur. Tellement secrète que nous ne savons pas réellement qui en fait partie. Les anciens en parlent avec mystère et ne révèlent pas grand-chose, par crainte de représailles sans doute. Rares sont ceux qui osent évoquer ce nom. Les conseillers et le roi en ont peur et sont à l'affut de la moindre piste. Atiope aiderait apparemment ceux qui souhaitent fuir la grotte, même si c'est souvent un cadavre qui revient ! ...comme cette pauvre Atix !

— Japet avait des secrets selon Hédéos. A propos de Gaïa et d'une section secrète, vous savez quelque chose là-dessus ? questionna de nouveau la jeune éducatrice.

Toutes les personnes présentes secouèrent négativement la tête

— Non, reprit le collègue d'Atropos. Mais je connais un vieux triton qui prétend pouvoir me mettre en relation avec l'organisation Atiope. C'est à elle que la rumeur attribue la mort d'Hédéos. Cependant, je ne comprends pas pourquoi Atiope aurait choisi de supprimer le conseiller le plus tolérant, le plus ouvert et qui encourageait le conseil à donner davantage de libertés. Cette mort n'a pas de sens.

— Et pourquoi rallier une organisation qui tue notre principal allié ? poursuivit Atropos.

— Parce qu'une révolution implique de se soutenir pour être nombreux à lutter, répliqua Théos.

— Oui, mais si Atiope existe depuis longtemps, pourquoi rien n'a été fait pour améliorer nos libertés ? répondit Atropos. Pourquoi aucune action, aucun soulèvement ? Rien qu'une mort stupide et inutile ! Je me méfie de cette rumeur. Si c'était un piège du gouvernement pour connaître les contestataires ?

Un silence s'installa. Tout le monde réfléchissait à cette évidence si troublante. Atropos brisa le silence.

— Nous avons eu de longues discussions, Théos et moi, depuis l'arrestation de Méléagre. Nous avons pensé former une nouvelle organisation. On verra plus tard si Atiope existe vraiment, si elle se manifeste, si elle est fiable et si nous partageons les mêmes points de vue. Se réunir nous mettra forcément en danger, il faut bien en avoir conscience.

— Notre groupe se réunira le plus souvent possible, continua Théos, dans le but de décider ensemble d'actions pouvant changer les choses. Qui serait d'accord sur le principe ? Réfléchissez bien avant de donner une réponse.

Les camarades d'autrefois, excepté Méléagre encore emprisonné et Flore qui devait dormir à présent, levèrent sans hésitation la main. Atropos se plaçait en leader incontestable et Néria le trouva encore plus séduisant ainsi.

— Je tiens cependant à vous mettre en garde et vous pousser à bien examiner à quoi vous engagera votre promesse, les prévint le beau défenseur. Cela peut vous coûter très cher et nous pouvons tous finir au mieux dans une geôle, au pire dans la gueule d'un requin.

— C'est le requin qui le regrettera s'il se retrouve face à toi, plaisanta Théos.

— Avant de faire nos serments et de décider quelles actions mener, chaque membre de notre future organisation peut s'exprimer sur ce qu'il voudrait changer, exprimer aussi ses souhaits, ses doutes, ses espoirs ou ses projets pour l'avenir, proposa Atropos très posément. Doris, tu veux commencer ?

Néria reconnaissait bien son côté méthodique, organisé et protecteur.

— Nous devrions préparer des armes et les cacher, affirma la solide cuisinière. Nous en aurons besoin quand nous ferons notre révolution. Les anciens se sont battus pour obtenir cette grotte, nous devons désormais la reprendre à ceux qui ont abusé de leur pouvoir et nous écrasent aujourd'hui. Je connais notre grotte mais certains lieux me sont totalement inconnus comme les geôles ou le quartier royal. Nous devrions donc établir une carte en mettant tous ensemble nos connaissances respectives et peut-être prendre le risque de visiter les autres. J'ai fini de parler, à toi Electre.

Son discours concis reflétait bien le côté rustre de Doris. Electre, de sa voix douce qui contrastait nettement avec celle de sa partenaire, enchaina :

— Se battre veut dire tuer des membres de notre communauté. Je ne suis pas prête pour cela, très franchement. Pourtant, je suis d'accord pour agir contre le système établi mais je ne sais pas comment.

Electre paraissait sincère et gênée d'avouer son incapacité à proposer une alternative. La frêle cuisinière avait toujours eu besoin de confier avec franchise ce qu'elle pensait au fond d'elle. Mais Electre inspirait tellement confiance que tout le monde l'écoutait avec attention quand elle prenait la parole.

— Néria a entendu parler de procréation artificielle et cela me fait peur, confia la tendre sirène car ils en viendront à séparer totalement et définitivement les sirènes des tritons. Je voulais faire parler aussi la voix des mères. Une sirène m'a raconté qu'ils l'avaient enfermée pendant des jours jusqu'à son accouchement. Elle n'a reçu aucune aide au moment où l'enfant voulait sortir et a souffert le martyr. Elle a appelé à l'aide mais le garde lui a hurlé de se taire et de se débrouiller seule. Quand le bébé est enfin arrivé et a pleuré, le gardien est alors entré pour lui arracher l'enfant des bras. Il était encore relié à sa mère par le cordon; le triton l'a alors coupé avec sa machette. Puis, il a sommé la mère d'arrêter de crier sinon son arme s'abattrait sur son crane sans hésitation. Ils l'ont laissé ensuite pendant deux jours entre la vie et la mort sans l'assister. Deux bols de soupe par jour apportés par des gardes sans compassion et aucune visite du médecin. Par la suite, elle est restée plusieurs semaines, isolée de tous, avec pour seules visites, celles des conseillers ou des gardiens de la mémoire. Le médecin est au courant de ces horreurs mais il ne montre aucune empathie. Il faut s'en méfier selon elle. Enfin, les conseillers l'ont informée qu'elle n'aurait plus le droit d'approcher le triton qui l'avait enfantée, ni l'enfant qu'elle avait porté. Il appartenait désormais à la communauté. Des menaces lui ont été faites si elle enfreignait les lois.

Après un long silence, Electre rajouta d'une voix étranglée en regardant Théos droit dans les yeux :

— Moi, je rêve d'être mère un jour, mais pas dans ces conditions. Je désire me battre pour ça mais, je ne veux pas donner la mort. Je ne sais pas comment on pourrait faire. Convaincre des conseillers peut-être ?

NériaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant