Les compagnons d'enfance (3)

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En attendant que les bols de nacre arrivent, Atropos attendait, l'épaule appuyée contre un pilier. Ses grands yeux marron scrutaient attentivement Néria. Il l'observait, attentif à ses moindres gestes. Elle tourna la tête vers lui et se figea. Un court instant, ils se dévisagèrent tous les deux, les yeux dans les yeux.

Néria sentit les battements de son cœur s'accélérer. La jeune éducatrice devina sa vision de loin se troubler. Seuls les traits de son visage lui apparaissaient avec netteté. Plus rien autour d'elle ne semblait avoir d'importance. Elle remarqua avec fébrilité son regard franc se plonger en elle, sa mâchoire large empreinte de maturité, ses lèvres fermes si troublantes.

Atropos effleura sa main. La jeune éducatrice frissonna. Pendant quelques secondes, le temps fut suspendu.

Néria se sentait nerveuse à présent ; cela faisait si longtemps qu'ils ne s'étaient pas retrouvés seuls, face à face ! Elle retrouvait en Atropos l'ami qui l'avait protégé toute sa jeunesse ; le petit triton consciencieux qui prenait soin des autres et se sentait responsable envers son entourage. Atropos avait toujours eu un sens du devoir exacerbé et voulait en toutes occasions maîtriser son environnement. La jeune néréide se souvenait qu'il était protecteur, prévenant et attentif envers elle. Il lui rapportait des petits camedans cachés dans sa tunique ou se forçait à finir les concombres de mer entassés dans son assiette qu'elle détestait plus que tout ; toutes ces petites attentions qu'elle n'avait pas oubliées. Mais à présent, elle discernait également le triton puissant et musclé qu'il devenait, sa maturité et sa personnalité plus affirmée, et son regard toujours empreint de la même douceur à son égard.

Puis la réalité les rattrapa. Ils eurent tous les deux le même réflexe de se retourner et jeter un coup d'œil à la ronde pour évaluer les risques d'avoir été aperçu. Un bref contact et un regard prolongé auraient suffi pour être immédiatement signalé aux membres du conseil.

Heureusement pour eux, il était tard et le forum s'était vidé. Le pilier sur le côté du bar leur permettait d'être moins exposés à la vue de tous. De plus, beaucoup de conseillers étaient déjà partis se coucher. Atropos, voyant que personne ne se souciait d'eux, prit son courage à deux mains et rompit le silence qui s'était à présent installé.

— Néria... J'aime prononcer ton prénom, murmura-t-il d'une voix si basse que Néria n'était pas sûre de l'avoir entendu formuler cette phrase,... Je suis heureux de te revoir... je veux dire ... seul à seul. Mais je sens quelque chose de différent en toi, aujourd'hui ? Qu'est-ce qui ne va pas ?

— J'ai appris ce soir que Thétis et Amédé étaient emprisonnés depuis deux ans, l'informa Néria d'une voix tremblotante. Deux ans ! T'imagine ? Et ils risquent d'être jetés dans la gueule d'un requin, si une rébellion se forme, simplement pour donner un exemple de punition exemplaire à tous ceux qui osent désobéir.

— La menace du requin nous est souvent brandie, à nous aussi les défenseurs. Ils font peser sur nous de sérieuses menaces si nous osons la moindre remarque. Nous sommes aussi sanctionnés physiquement en cas d'écart. Ils nous tiennent par la peur. Tout le monde craint son voisin et nous sommes sans arrêt surveillés. C'est pour cette raison que je n'ai pas pu te faire un petit signe quand tu es venu à l'entrée de ma section, la semaine dernière, avec le petit qui a un problème au bras.

— Manéo ? Je me demandais pourquoi tu avais été aussi indifférent ce jour-là, murmura d'une voix à peine audible la jeune sirène.

— Je suis désolé Néria, s'excusa, gêné le défenseur. Je te jure que nous sommes beaucoup plus surveillés que vous et que nous risquons gros. Je n'ai confiance qu'en Théos dans ma section. Ne m'en veux pas si ça se reproduit, j'y suis obligé.

NériaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant