la lumière-6

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Cléia était à présent très curieuse de connaître les explications de son amie concernant l'événement qui venait de se passer. Son impatience l'avait même conduite à mentir à sa formatrice en prétendant qu'elle devait porter main forte à Néria qui se sentait au plus mal. C'est pour cette raison qu'elle avait croisé Héline sur le chemin du spa, ce qui avait sauvé son amie d'une situation très compromettante.

Leur goût commun pour l'aventure avait rapproché les deux sirènes, même si deux ans d'écart les séparaient. Elles s'étaient retrouvées pendant des années, toutes les deux au premier rang, à se délecter des récits racontés par les vieux tritons au forum et lors des soirées où Thétis racontait avec passion les péripéties en tous genres des Dieux ou Déesses de l'Olympe.

Elles avaient été bercées, pendant leur enfance, d'histoires qui tranchaient avec leur quotidien si répétitif, si ennuyeux, où leur espace de vie était tellement limité et fermé. Les deux jeunes sirènes s'étaient rapprochées, à l'insu de la règle n°3 qui interdisait les relations personnelles entre individus. Parfois, elles se retrouvaient en cachette pour imaginer ensemble ce monde merveilleux, mouvementé, où des Dieux, dépourvus de queue de poisson mais dotés de pouvoirs magiques, vivaient des aventures extraordinaires.

Les sirènes et tritons devaient se soumettre à la règle communautaire qui n'autorisait le retrait dans un espace isolé qu'uniquement pour se reposer ou en cas de maladie. Seule une autorisation des tutrices permettait donc aux sirènes de se retirer en pleine journée. Cléia, qui voulait rejoindre Néria, se fit donc rabrouer par la formatrice chargée de surveiller le dortoir des bébés, sans que les deux sirènes aient eu le temps de pouvoir discuter.

Le nom de chambre était peu approprié pour désigner la minuscule cellule où l'on pouvait à peine tenir assis. Les espaces personnels, réservés aux plus de dix ans, étaient hors de l'eau et percés dans la roche. Ils s'alignaient tels des alvéoles de guêpes sur deux étages. Les cellules les plus élevées, réservées aux plus anciennes, demandaient un effort aux néréides, qui devaient sauter avec précision pour accéder à leur espace.

Les sirènes pouvaient rester à l'extérieur de l'eau aussi longtemps qu'elles le souhaitaient, même si leurs écailles finissaient par perdre de leurs belles couleurs éclatantes au bout de quelques jours.

Dans ce lieu réservé au repos, les bruits qui s'échappaient habituellement des autres cellules rappelaient, à chaque instant, aux occupantes qu'elles appartenaient à une société communautaire et que la part accordée à l'intimité était très restreinte.

Même leurs vêtements austères appartenaient au groupe. Les tenues des sirènes descendaient jusqu'aux cuisses, là où commençait leurs écailles. Elles étaient mises en commun à la disposition de tous. Les couturières tricotaient les algues souples et confectionnaient des tuniques presque toujours de formes identiques dissimulant largement toutes les parties intimes. Les sirènes pouvaient les porter pendant environ une semaine. Ensuite les lanières commençaient à se défaire et le travail des couturières était à recommencer après le lavage de ces mêmes fils très solides, issus d'une algue verdâtre cultivée à cette fin par les tritons cultivateurs.

La chambre de Néria était aménagée avec sobriété : une paillasse d'algues séchées tenait lieu de matelas, une gourde en peau ainsi qu'une lanterne de vers lumineux, que l'on recouvre d'une peau opaque ou non selon le besoin d'être éclairé. La roche était grise, le matelas vert sombre. Rien n'égayait la cellule, à part le petit bénitier rose clair sorti juste à l'instant par Néria. Celui-ci était nacré à l'intérieur et contenait un bracelet de perles, offert en secret par Atropos lors de la fête de l'avenir de l'année dernière, et un petit coquillage qui reflétait sa propre image. Néria l'avait trouvé un jour en vidant le panier de la filtration à l'entrée de sa section. Les miroirs, rares et précieux, ne servaient que lors des grandes occasions dans sa section. Le fait de se regarder faisant partie des choses à éviter, selon l'avis du conseil.

Le troisième objet que Néria possédait personnellement était un morceau de tissu d'une matière nouvelle, totalement inconnue de la sirène, douce comme la peau d'une anguille, chaude quand on se glissait dessous et agréable à caresser. Elle lui avait été offerte en cadeau par Atropos, elle aussi, il y a de cela un an.

Le triton l'avait bien mis en garde de ne la montrer à personne et de la maintenir cachée. Il était formellement interdit aux défenseurs d'introduire des objets inconnus dans la grotte sans l'accord du conseil qui confisquait tous les objets rares et précieux. Sa couverture était son bien le plus précieux qui la réchauffait et la rassurait toutes les nuits.

Néria savait qu'en possédant ces trois objets, elle désobéissait à la règle n°5 : « tout objet appartient à la communauté, aucun bien personnel n'est autorisé ». C'est pourquoi, elle les maintenait bien cachés derrière une pierre mobile tel un coffre invisible.

NériaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant