3. Scott

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À la fin du repas, mon père et ma mère décident de rester discuter avec Corentin. Scott et moi on choisit d'aller dehors, malgré le froid. Comme il n'est vêtu que d'une fine chemise, je lui prête ma veste et un bonnet. Il me rend ma veste, en me déclarant qu'il habite en pleine montagne, et que par conséquent il craint peu le froid. Mais il ajoute qu'il garde le bonnet parce qu'il trouve qu'il lui va bien.

Ne voulant pas passer pour un frileux, je remets ma veste sur le porte manteau et ne prends qu'une écharpe, puis nous allons dehors. On fait deux ou trois fois le tour du jardin, sans parler. J'ai froid. Il observe les étoiles. Moi je regarde mes pieds. C'est une mauvaise habitude. Je l'ai prise parce que je ne veux pas regarder les gens dans les yeux quand je les croise. À force, mon regard s'est tourné vers le sol, et je ne vois plus ce qu'il se passe autour de moi.

Coincé dans ma bulle.

À un moment, il s'arrête :

–Tu ne veux pas qu'on aille dehors ?

–Euh... On est déjà dehors.

– Non, je veux dire dans ton village.

Qu'est-ce qu'on irait faire au village, si tard ? C'est petit, c'est gris, c'est moche.

Malgré tout, je lui réponds un : "si tu veux," et nous y allons.

Après avoir fait signe à mes parents par la fenêtre qu'on allait se promener, on sort par le portail de devant. Une fois dans la rue, Scott me dit :

– Ce qui est bien ici, c'est qu'il y a très peu de lampadaires, alors on voit bien le ciel.

Je lève les yeux et remarque qu'effectivement, les étoiles sont très visibles. C'est peut-être pour ça qu'il voulait aller dehors. Chez moi, la lumière du lampadaire de la rue et des lampes de la maison devait gêner.

Puis il se remet en marche, et je le suis. Je ne sais pas trop quoi dire, et pourtant j'aimerais bien combler le silence. Alors j'attends qu'il parle.

Le temps passe doucement, Scott regardant le ciel et moi le sol.

J'ai froid.

Scott me regarde, et me sourit. Je crois qu'il sent que je suis un peu stressé. Puis il se remet à parler :

– Décrispe toi, je vais pas te manger, tu sais ?

–Je sais, dis-je toujours aussi crispé.

– Ben alors ? Pourquoi t'es tout tendu comme ça ?

– J'aime pas ce village, enfin ceux qui y habitent, et puis je ne te connais pas, et j'ai du mal à parler aux inconnus.

– Je suis pas un inconnu, je suis le fils de l'ami de ton père, je m'appelle Scott Matuvin, et j'ai mangé chez toi ce soir.

– Même, c'est spécial.

On arrive au niveau d'un parking, si bien éclairé qu'on dirait qu'il y fait jour. Scott regarde le ciel et lâche doucement : «pollution lumineuse.»

Je crois que la pollution lumineuse, c'est les lumières qui empêchent de voir les étoiles le soir.

Je réponds donc un petit "oui," et Scott me sourit à nouveau. Puis il me dit :

–J'ai une idée, pour te détendre.

– Quoi donc ? m'enquis-je interloqué.

– Il fait presque jour, tu vas pouvoir me prendre en photo !

Sa réflexion me fait l'inverse de la détente, je sens tout mes muscles se crisper, et je m'arrête de marcher derechef.

– On dirait un piquet ! rigole-t-il en se retournant pour voir ce que je faisais.

– Je vais te prendre en photo ?

– Ben oui, pourquoi ? Ça te gène ?

– C'est que... Je suis pas photographe, je te connais pas, c'est tard, j'ai pas d'appareil...

- Oh, oh, oh ! Me lance-t-il, en faisant signe de me calmer avec ses mains. Prends ton portable, va sur "appareil photo" et ça te fais un problème de réglé. Ensuite, même s'il est tard, il y a beaucoup de lumière ici. Et je t'ai déjà dit que tu me connaissais. Certes, seulement un peu, mais assez pour que je veuille bien aller dehors avec toi.

– Je suis pas photographe...

– Et moi je suis pas mannequin, alors prends ton portable et vas-y.

Je sors mon portable de ma poche, et Scott me sourit. Je le prends en photo, mais à chaque fois, je trouve que son sourire sonne faux. Je lui demande alors de ne pas me regarder. Il fixe un point derrière lui. Je refais plusieurs photo.

Puis on regarde les photos prises. Il m'en montre une du doigt, et me dit que c'est la meilleure. Je suis d'accord, c'est celle où il regarde un peu derrière lui, sans sourire, juste comme s'il cherchait à se souvenir de quelque chose. (*) Content de moi, je lui demande si je peux la garder. Il me dit que oui. Et on continue notre petit tour.

Mais c'est vrai que de l'avoir pris en photo a détendu l'atmosphère.

Puis il regarde sa montre. Et il me lance joyeusement :

– Okay, t'as dix minutes pour me montrer ton endroit préféré dans ce village.

Pris au dépourvu, je lui dis d'abord que je n'ai pas d'endroit préféré. Il regarde sa montre : "neuf minutes et cinquante-deux secondes."

Okay, j'ai pas le choix...

Je réfléchis rapidement.

Alors je pense à un endroit. Je lui souris (certainement pour la première fois) et lui dis :

– Si ! En fait j'en ai un. Mais il va falloir courir un peu !

Il me regarde. Un regard confiant, et rieur.

Et je me mets à courir soudainement, ce qui le surprend. Mais il se met à rire et me suit.

Et, woah, je ris. Je ris et je suis heureux.

(*) Voir la photo en média.

Bim Bam BOUM !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant