Chez Scott, on enlève nos vestes trempées et on se sert du chocolat chaud. Je suis content du petit jeu qu'on a fait, et lui semble heureux du fait que je ne l'aie pas abandonné. Sérieusement, pourquoi ses amis l'ont quitté ? Ils ont peur ? Peur que Scott les aime ? Moi je trouverais ça drôle s'il m'aimait.
Peut-être même que ça me plairait.
– Ça t'a plu mon petit coin ?
– C'était super joli ! Mais un peu dur d'accès...
– C'est parce que tu ne sais pas grimper.
Je souris. J'aime pas quand il se moque de moi. Mais ça me fait sourire quand même.
Je bois une gorgée de mon chocolat. Quand je relève la tête pour le regarder, il explose de rire. Il boit à son tour, et me montre la belle moustache qu'il a au dessus des lèvres. Je m'essuie alors la mienne, et rebois. Mon geste était donc inutile. Mais bon. On finit notre petit encas tardif (si l'on s'en tient aux horaires de chez moi, on mangerait le déjeuner dans une heure) et on reste assis autour de la table pour discuter.
Je parle du lycée, il parle de ses amis non-scolarisés, je parle de ma famille, il me parle de Josette, qui était en fait sa Grand-Mère de substitution, je parle de mon enfance colorée, et lui de son enfance chaotique. Puis il me demande, au cours de la conversation :
– Dis, Mick, pourquoi tu mets des habits trop grands pour toi ?
C'est vrai qu'avec mes chemises et pulls taille XL alors que je fais du M, j'ai l'air un peu plus débraillé que lui, pour lequel les habits paraissent taillés sur mesure.
– C'est parce que je suis bien dedans...
Ce qui est faux... Enfin, disons que c'est pas la raison principale.
– Tu es sûr ?
– ...
– Mick ?
Je me tais encore, pour lui faire comprendre que je ne veux pas en parler. C'est trop tôt encore. Il ne me connaît pas. Il ne veut pas savoir.
– Tu ne veux pas répondre c'est ça ?
Raaaaah... Scott ! Pourquoi veux-tu savoir ça ? Pourquoi tu gâches ce moment ? Pourquoi veux-tu savoir que je suis trop maigre ? Pourquoi veux-tu savoir que je mange le strict minimum depuis mon accident ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?
Je me lève de table, et fonce dans sa salle de bain. Énervé.
Je l'entends se lever de table derrière moi.
– Mick attends ! Je voulais pas...
VLAM !
Je claque la porte violemment, et m'enferme à clé. Je m'assois par terre. Je déboutonne ma chemise, l'enlève, me lève, regarde mon corps dans le miroir. Trop de séquelles de l'accident persistent. Ces os saillants au niveau du plexus solaire, ces bras qui n'ont pas l'air d'avoir de muscles, ce ventre de dix centimètres d'épaisseur. Des larmes coulent sur mes joues. Ces joues creusées par la tristesse.
Si je peux marcher, courir, sauter... ce bim bam BOUM m'a sérieusement endommagé l'esprit. Tendance anorexique, envie de me détruire, de fuguer, comportement asocial...
Tout est de ma faute. Si j'avais fait attention, je serais pas tombé. Si j'avais repris ma vie d'avant, je n'aurais jamais eu le sentiment d'être seul. Et de vouloir rester seul. Merde. Pourquoi je suis si con ?
Je me rassieds au sol. Je pleure. Je serre mes genoux osseux avec mes bras fins.
Scott, t'as pas à savoir ça. Ça fait mal. Scott. Je suis pas un gars heureux. Scott. Je ne peux que te rendre triste. Scott. M'abandonne pas. Scott...
J'entends le bruit d'un objet métallique dans la serrure, mais je ne regarde pas. Un tournevis force la serrure.
Scott entre. Me voit au sol, torse nu. Le tournevis tombe au sol. Et Scott m'enlace en me murmurant : "Je suis désolé, Mick... Désolé. Je voulais pas..." Je desserre mes bras, pour l'attraper et l'attirer avec moi. J'ai besoin d'amour. Scott. Entend moi ! J'ai besoin de ton amour. Scott. Serre moi fort.
– J'ai eu peur que tu fasses une connerie, ici... ajoute-t-il.
Mes larmes coulent désormais sur ses épaules. Son étreinte se fait plus forte. Il... il pleure ? Je regarde ses yeux. Ils sont légèrement humides. Il me dit encore doucement : "Mick, je suis désolé." J'arrête de pleurer, et je remarque qu'il a encore sa moustache-chocolat, qui me fait sourire faiblement. Je lui dit que "je ne lui en veux pl...pas," et je remets ma chemise.
La fin de la journée se passe ensuite normalement, malgré une petite tension entre nous. Il me montre comment il travaille. Puis on fait des jeux. Jungle speed, Ligretto, Times Up, que des jeux de rapidité qui nous font oublier notre petit incident de salle de bain.
Enfin, mon père m'appelle pour me prévenir qu'il arrive dans dix minutes, je lui rappelle que ce n'est pas bien de téléphoner au volant, et je retourne avec Scott.
Scott m'aide alors à récupérer mes affaires éparpillées un peu partout.
Avant de se quitter, je lui dis que j'ai hâte de le revoir. Lui, en guise de réponse, me demande : "Je peux t'embrasser ?"
Pardon ? Je n'ai pas le temps de réfléchir, et écoute ce que me crie mon cœur.
Alors, je hoche la tête, et sens un baiser se déposer sur mes lèvres.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté.
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Bim Bam BOUM !
Genç KurguAprès une chute de ski, Mick est triste. Trop triste. Et il est seul. Trop seul. C'est Scott qui va l'aider. [Série Lycée Rimbaud]